Revue de l’Institut Napoléon
Numéro 218 (2019-1)
Editorial
L’année 2019 est celle du cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Napoléon Bonaparte. Elle a démontré l’intérêt persistant des Français, voire des Européens, pour celui qui demeure un des personnages historiques les plus connus dans le monde. On ne peut que mesurer dès lors la discrétion des commémorations officielles de 2019 au regard de celles qui avaient accompagné le bicentenaire de 1969. Georges Pompidou vient d’être élu en juin 1969 président de la République. Il ne manque pas le rendez-vous d’Ajaccio. Interrompant ses vacances au fort de Brégançon, il se rend sur l’île de Beauté, où en compagnie du ministre de la Défense, Michel Debré, mais également du prince Louis Napoléon, il prononce un discours dans lequel il salue l’œuvre unificatrice de l’empereur, tant en France, qu’en Allemagne ou en Italie, deux pays partenaires de la France dans la construction de l’Europe des six. Reprenant les phrases prêtées à Napoléon par Las Cases à Sainte-Hélène, le président de la République met du reste l’accent sur le rôle de l’empereur dans le développement de la construction européenne, avant de conclure par une phrase extraite de la déclaration d’abdication du 22 juin 1815 : « Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante. »
Un an à peine après les événements de mai 1968 et la victoire écrasante des gaullistes aux élections législatives de juin, les Français sont ainsi replongés dans le souvenir de Napoléon. La France gaulliste devenue pompidolienne n’a aucun mal à exalter le chef d’Etat qui a mis fin à la Révolution, tout en jetant les bases d’une France moderne, respectée en Europe. Il ne s’agit évidemment pas, à l’heure des balbutiements de la construction européenne, de magnifier l’expansionnisme napoléonien, mais de montrer, à travers ses exploits guerriers, la faculté de la France à conserver son indépendance et à imposer « une certaine idée de la France ». La référence à Napoléon ne pose pas de problème dans un pays en expansion, fier de son Concorde, de ses Mirages, du France, paquebot qui précisément en cette année du bicentenaire transporte les passionnés de l’Empire vers Sainte-Hélène. Qui plus est, Napoléon parvient à faire quasiment l’unanimité autour de son souvenir. Même le parti communiste, alors la principale force de gauche – son candidat à l’élection présidentielle de juin 1969, Jacques Duclos, est arrivé en 3e position avec 21 % des suffrages exprimés – accepte de s’associer à la célébration du bicentenaire de sa naissance, voyant en lui l’homme qui a réussi à consolider les acquis de la Révolution. Partout, en France, des manifestations, des expositions sont organisées pour commémorer ce bicentenaire, des livres sont édités, à l’image du Napoléon d’André Castelot, qui rencontre un très grand succès. Il vient précisément d’être réédité.
En 2019, le président de la République a préféré se rendre à Saint-Raphaël pour commémorer le soixante-quinzième anniversaire du débarquement en Provence, insistant sur la participation de l’Afrique à cette libération. La ville d’Ajaccio avait pourtant décidé de célébrer en grandes pompes l’anniversaire de la naissance du plus célèbre de ses enfants. Trois jours de manifestations ont été organisés avec en apothéose les fêtes du 15 août auxquelles participèrent notamment le président du Sénat, Gérard Larcher, second personnage de l’Etat, et le prince Jean Christophe Napoléon, marchant sur les traces de son grand-père cinquante ans plus tard. A Paris, une cérémonie était organisée aux Invalides, à l’initiative du Souvenir napoléonien. Mais surtout en France, l’année a vu se multiplier les initiatives, notamment dans le cadre du label des villes impériales. D’Autun à Saint-Germain-en-Laye, en passant par Nice ou Sartène, les manifestations, rencontres impériales, ou cycles de conférences se sont multipliés, attestant de l’intérêt toujours vif porté à l’empereur. A l’étranger, on s’est aussi interrogé sur ce paradoxe français qui voit le plus célèbre de ses ressortissants boudés par les pouvoirs publics. Qu’en sera-t-il en 2021 au moment du bicentenaire de la mort de Napoléon ? L’implication de l’Etat dans les commémorations de cette disparition n’est pas à exclure. Pendant vingt ans, la République a eu de très grandes difficultés à commémorer le bicentenaire du Consulat et de l’Empire. Elle aura peut-être plus de facilités à rendre hommage à un empereur mort.
Jacques-Olivier Boudon
Président de l’Institut Napoléon
Résumés
La défense d’Augereau en 1814. La ville de Lyon pouvait-elle tenir ?
par Pascal Cyr
Napoléon n’a cessé de reprocher à Augereau son inactivité au cours du siège de Lyon avant de lui attribuer une part de son propre échec. Mais en infériorité numérique, avec 23 000 soldats contre 60 000 Autrichiens, Augereau dut faire face au manque d’armes et d’approvisionnement et au découragement de la population. Or il tient la ville de Lyon pendant près de trois mois, aidé il est vrai par la rigueur de l’hiver. Et s’il commit des erreurs tactiques dans sa tentative de contre-attaque à la fin du mois de février, en divisant son armée, il ne disposait pas des moyens nécessaires pour retourner la situation. Au contraire, sa résistance a immobilisé 60 000 hommes qui ne purent participer à la campagne de France contre Napoléon.
Six dictées de Napoléon en janvier 1814
par Charles-Éloi Vial
Conservées à la Bibliothèque nationale de France, dans les archives du secrétariat du grand maréchal du Palais, six dictées de Napoléon Ier au général Bertrand, datées du 2 au 22 janvier 1814, viennent témoigner du bref intérim de major-général de la Grande Armée, que celui-ci exerça pendant quelques jours, en l’absence du maréchal Berthier. Dans un jeu de questions et de réponses, Napoléon s’enquiert des positions des régiments et des faits et gestes de ses maréchaux et généraux, Bertrand, parfaitement renseigné, lui fournissant sur-le-champ la réponse, calculant les temps de trajets et fixant les étapes pour amener les hommes et les chevaux là où le désire l’Empereur. Ces documents bruts montrent l’évolution rapide des projets de Napoléon, confronté à l’invasion du territoire de l’Empire et tâchant d’élaborer un « plan de campagne » pour ce qui devait devenir la campagne de France.
Le Dithyrambie sur la mort de Napoléon de Byron et les leçons des œuvres apocryphes
par Olivier Feignier
La nouvelle de la mort de Napoléon atteignit Londres le 4 juillet 1821 et Paris le lendemain. Le 21 juillet, on assiste au déclenchement d’une avalanche de brochures napoléoniennes parmi lesquelles La Mort de Napoléon, dithyrambe traduit de l’anglais de lord Byron, précédé d’une notice sur la vie et la mort de Napoléon Bonaparte, par Sir Thomas Moore. Troisième édition, corrigée et augmentée. L’original anglais n’existe pas. Il s’agit en effet d’un écrit apocryphe dans lequel l’auteur raconte les conditions de la détention de Napoléon et l’approche de sa mort. Mais le nom de Byron suffit à lui faire connaître un succès considérable. Il fait l’objet de plusieurs rééditions et imitations alors même que le poète n’était pas à Londres et ne s’est pas particulièrement exprimé sur le sujet de la mort de Napoléon.
D’exil en exil : le périple de deux volumes de la bibliothèque de Sainte-Hélène
par Lauriane Iglesias
La bibliothèque municipale classée d’Aix-en-Provence, dite bibliothèque Méjanes, recèle deux volumes qui ont fait partie de la bibliothèque personnelle de Napoléon à Sainte-Hélène, les tomes 4 et 5 de la Géographie de Strabon, traduite du grec en français, énième édition française in-quarto de 1805-1819 du traité datant du Ier siècle av. J-C. Ils ont été envoyés à Sainte-Hélène par lady Elizabeth Vassall Fox, baronne Holland, qui fut la principale pourvoyeuse de livres de Napoléon, puisqu’elle lui adressa pas moins de 475 volumes. Les deux tomes de Strabon n’ont guère été consultés par Napoléon avant de repartir en Europe où ils connurent une destinée mystérieuse avant de se retrouver dans les fonds de la Méjanes.