Revue de l’Institut Napoléon : Numéro 214

Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 214 (2017-1)

Editorial

En 2011, la ville de Rueil-Malmaison, marquée s’il en est par le souvenir de Bonaparte et de Joséphine dont l’esprit habite toujours le château de Malmaison, lançait la marque « Ville impériale » avec trois autres cités qui avaient la particularité d’avoir joué un rôle sous les deux Empires, Saint-Cloud, Fontainebleau et Compiègne. De cette initiative émanait dès septembre 2012 un premier jubilé impérial, qui fut un succès réel, au point de pousser la municipalité de Rueil à rééditer l’opération en 2014, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Joséphine. 70 000 visiteurs furent présents au rendez-vous. Trois ans plus tard, le 3e jubilé impérial, organisé à Rueil les 23 et 24 septembre 2017, a dépassé toutes les espérances, réunissant près de 110 000 personnes, autour des diverses animations et expositions présentées dans la ville et aux alentours. Un vaste bivouac dans le parc de Beaupréau, des reconstitutions tout au long du week-end, dont celle de l’entrevue de Tilsit entre Napoléon et le tsar Alexandre, une parade géante avec plus de deux mille reconstituants, ont rythmé ces deux journées et contribué à faire connaître l’histoire du Consulat et de l’Empire, dans sa dimension diplomatique et militaire, mais aussi dans son volet civil, à travers par exemple la médecine ou l’alimentation. L’exposition Jeux d’Empire a également contribué à manifester la persistance du mythe napoléonien. La présence de très nombreux enfants et de jeunes spectateurs confirme le rôle que peuvent jouer de telles manifestations dans l’acculturation des nouvelles générations à une histoire trop souvent méconnue parce que peu enseignée à l’école, au collège, au lycée, voire à l’université. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles l’Institut Napoléon a accepté dès l’origine de participer à la préparation de ces événements, au sein d’un comité scientifique qui valide les projets proposés par les organisateurs. Mais la participation de l’Institut Napoléon aux initiatives des « Villes impériales » l’a aussi conduit à s’associer à la ville de Rueil dans l’organisation de cycles de conférences et surtout d’un colloque annuel, dont la sixième édition aura lieu le 2 décembre 2017. Comme le jubilé, il est placé sous le signe des relations franco-russes, dans le cadre du 210e anniversaire de la paix de Tilsit. Le programme, que vous pourrez à la fin de ce numéro, est riche, et permet d’envisager une étude sur le temps long, puisque le Second Empire est inclus. L’Institut Napoléon sera également présent à Nice, du 20 au 22 octobre 2017, pour participer aux Journées Impériales accompagnant l’adhésion de la ville de Nice au groupe des « Villes impériales ». Nice sera ainsi la 15e ville adhérente à ce réseau, ce qui montre la vitalité des entreprises conduites autour de Napoléon. Alors que le bicentenaire de l’Empire s’est achevé, les municipalités marquées par l’histoire napoléonienne ont pris conscience du formidable capital touristique qu’elles recelaient. Or la coopération entre historiens et professionnels du tourisme est essentielle pour faire revivre avec le plus de rigueur possible la vie des premières années du XIXe siècle.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Le Train d’artillerie de la Garde impériale en 1815

par Alain Martin

Unité très souvent méconnue, le Train d’artillerie de la Garde impériale, dissout en 1814, est complètement reconstitué au retour de Napoléon. En quelques mois, il s’agit de remettre sur pied un nouvel escadron, par le rappel d’anciens, le transfert de soldats issus du Train de la Ligne, du Train des Equipages ou l’incorporation de soldats de différents horizons. L’analyse du Registre Matricule de l’escadron permet de mieux appréhender le soldat impérial de 1815.  La plupart sont jeunes, originaires des départements bonapartistes et n’ont que quelques années de services. Les sept compagnies se forment l’une après l’autre et ce n’est que le 10 juin que l’effectif complet est atteint. Appelé à servir dix batteries de la Garde, l’escadron perd plus de 20 % de ses hommes au cours de la campagne de Belgique. Les désertions se multiplient au cours des semaines qui suivent et il ne reste que six cent soldats lors du licenciement de l’escadron. De ces derniers, seuls quelques-uns poursuivront leur carrière militaire.

Étude minéralogique et chimique du masque mortuaire Antommarchi de Napoléon Ier

par Gérard Lucotte

L’objectif de ce travail est l’étude minéralogique et chimique du plâtre du masque Antommarchi, masque mortuaire de Napoléon conservé au musée de la Malmaison. Les prélèvements de plâtre ont été effectués sur l’hémiface gauche, en cinq endroits différents : à la base du cou, sur la joue, au milieu du sourcil, sur le haut du front, et à son sommet. L’examen du plâtre du cou et du front a montré qu’il s’agit de plâtre de Paris. Le plâtre du sommet du front a montré qu’il s’agit de plâtre de Paris. Le plâtre du sommet du front est assimilable à un mastic. L’analyse de la composition des plâtres de la houe et du sourcil montrent qu’ils sont constitués de gypse de deux types, d’aluminosilicate riche en fer et en titane, et de phosphate. Cette composition tripartite est caractéristique du gypse de Sainte-Hélène. Il en est déduit que le masque Antommarchi est de structure composite, certaines de ses parties ayant été moulées à Sainte-Hélène, sur le visage de l’Empereur à sa mort.

Le « système » de Napoléon : l’ambition, la méthode, le devoir.

par Bernard Hillau

« Mon système » disait Napoléon. Et ce système fut à la fois une découverte, une méthode et un objectif. La découverte : celle de ses qualités propres de gouvernant dans la continuité du métier des armes. Jeune général, il fait l’expérience en Italie d’une telle continuité, entre le haut commandement militaire, la pacification des territoires conquis et, in fine, les fonctions de gouvernant et de législateur sur ces territoires. La méthode : réduire par des triomphes à l’étranger la fracture intérieure de la France entre les factions ennemies des révolutionnaires « exaltés » et des royalistes ; il l’expérimente dès son retour, en organisant et conduisant la campagne colonisatrice d’Egypte et l’appliquera par la suite avec les gouvernements du Consulat et de l’Empire. L’objectif : rétablir « l’édifice social » de la France avec une monarchie militaire qui lui laisse toutes les cartes en main pour mettre durablement en synergie les éléments (militaires, éducatifs, économiques, religieux, etc.) qu’il avait trouvés volatils et épars à son arrivée au pouvoir. Et ce système est aussi son devoir, celui de s’y soumettre lui-même afin de « finir son ouvrage » quand il risque de tout perdre.

La véritable originalité du système de Napoléon, ce qui assure le « liant » du nouvel ensemble d’institutions réside en la dimension honorifique de sa politique associée au lustre de l’Etat. En abolissant les privilèges, la Révolution avait ouvert la porte à de nouvelles formes de cooptation sociale sans avoir pu, ou su, en mettre en place de suffisamment significative. Plus qu’un système, « l’ordre napoléonien », masqué sous l’apparence d’une haute mais inextinguible ambition, relève des propriétés de combinaison et de renforcement réciproque des institutions qu’il met en place en conjuguant une pratique de réforme autoritaire et centralisatrice au sommet de l’Etat, et la satisfaction d’un idéal égalitariste de la population. Avec la hiérarchie des titres, des rémunérations, des avantages concédés aux serviteurs de l’Etat, il favorise les effets induits de carrière des agents dans le fonctionnement des activités publiques. Par la vertu de la nomination et de l’avancement « au mérite » il amorce la refondation de l’Etat par la carrière publique en donnant à chaque agent (fonctionnaire ou élu) un horizon d’expression et de reconnaissance de ses talents et en proposant à tous, avec le critère de la « bonne réputation », une orientation morale à « l’esprit public ».

« La chose publique c’était moi » dira Napoléon sur la fin de sa vie.  Son véritable génie est d’avoir tracé la voie d’un nouvel équilibre de la société civile. Si la figure historique de l’homme nous interroge aujourd’hui, c’est sur ce phénomène social éminemment paradoxal, tel que la doxa institutionnelle d’un individu-acteur (son activisme de réforme volontaire et réfléchi) ait pu avoir des répercussions aussi profondes sur le devenir des institutions, à l’aube de la modernité de la France.

Napoléon et la musique

par Jean-François Marchi

Quel est le domaine de l’activité humaine et sociale que Napoléon n’a-t-il pas approché et réformé ?

Imprégné des idées de l’Encyclopédie, le bâtisseur du nouveau système voulut que tout fût régi par la Raison.

Donc par la loi et les institutions qu’il édifiait. Retenons la définition qu’en donne Balzac au prétexte du Cadastre : « oeuvre de géant voulue par un géant. »

Reprenant le dessein de Louis XIV, il conçut une politique culturelle à des fins d’édification et d’éducation populaires mais aussi de propagande à destination du monde. De culture italique, il réorganisa la musique tant profane que sacrée en s’assurant de la pérennité du chant italien par la création du Théâtre italien tout en donnant la première place à l’Opéra impérial objet de de toutes ses faveurs. Il s’assura de la carrière des Méhul et Lesueur destinés à faire briller le goût français en favorisant en sous-main celle du chant italien afin que celui-ci pût durablement supplanter le urlo francese du passé.

L’indéniable succès de cette politique en trompe l’oeil est que le théâtre royal italien sera pourvu par le roi Charles X d’un directeur nommé Gioacchino Rossini qui poursuivra cette politique jusqu’à l’achèvement de la transformation du chant français avec l’instauration de la suprématie de la mélodie.

Napoléon voulait  ainsi que la musique transformât les esprits et accompagnât la réussite de son oeuvre.

Abstracts

Study of the mineralogical and chemical compositions of Napoleon 1er‘s death mask Antommarchi

by Gérard Lucotte

The objective of the present study is the determination of the chemical and mineralogical compositions of the mask Antommarchi. This death mask of Napoleon is conservated at the Malmaison Museum. Plaster samples were taken from five places on the left hemi-face: on the neck basis, on the cheek, on the middle part of the eyebrow, on the forehead upper part and at the crown. Plaster examination at the neck and the forehead shows that is plaster from Paris. The plaster at the crown is constituted of some form of putty. Plaster compositions of the cheek and eyebrow shows an heterogeneous three-parts mixture: two sorts of gypsum an alumino-silicate rich in iron and titanium, and phosphate. This tripartite composition is characteristic of the St Helena island’ gypsum. We conclude that the Antommarchi’ mask is composite some of it parts being moulded of the Emperor’ face after his death at St Helena.

The artillery train of the Imperial Guard in 1815

by Alain Martin

The Train of artillery of the Imperial Guard, rarely studied and broken up in 1814, is completely reconstituted upon the return of Napoleon. Within a few months, a new squadron is set up again, veterans are called and former soldiers are transferred from the Train of the Line, the Train of Crews, soldiers of various units are enlisted.

The analysis of the Register Roll of the squadron helps to draw a better portrait of the imperial soldier of 1815. Most of them are young, native of Bonapartist departments and have only a few years of service. Seven companies form one after the other and it is only by June 10th that the complete staff is recruited. Called to serve ten batteries of the Guard, the squadron loses more than 20 % of his men during the campaign of Belgium. The desertions multiply during the following weeks and only six hundred soldiers remain when the squadron is dismissed. Only a few of these men will pursue their military career.

Napoleon’s « system »: ambition, method and duty.

by Bernard Hillau 

« My system » said Napoleon. And this system was at the same time a discovery, a method and an objective. A discovery: that of his appropriate qualities of governing in the continuity of his soldiering time. As a young general, he experiences in Italy of such a continuity, between the military high command, the pacification of the conquered territories and, in fine, the offices of the administration and the legal functioning in these territories.

A method: reduce by triumphs abroad the internal fracture of France between the enemy factions of the revolutionaries « fanatics » and the royalist ones; he experiments it upon his return, by organizing and leading the colonizing campaign of Egypt and will apply it afterward with the governments of the Consulate and the Empire. An objective: restore the « social structure » of France with a military monarchy which leaves him all the cards in hand to put durably in synergy the military, educational, economic, religious, etc. elements which he had found volatile and scattered upon arriving in the power. And this system is also a duty, that of to submit himself to it in order « to complete his work » when he risks to lose everything.

The true originality of Napoleon’s system, what makes the « binder » between the new set of institutions lies in the honorary dimension of his politics associated with the luster of the State. By abolishing the privileges, the Revolution had opened the door to new forms of social co-optation without having been able to, or known how to, set up some significant enough. More than a system, the « napoleonic order », hidden under the appearance of a high but insatiable ambition, reveals its capabilities of combination and mutual strengthening of the institutions which it sets up by conjugating a practice of authority and centralism in the reforms at the head of the State, as well as the satisfaction of an egalitarian ideal of the population. With the hierarchy of the titles, the remunerations, the advantages granted to the servants of the State, he favors the effects inferred by the career of the agents in the functioning of the public activities. By the virtue of the appointment and the promotion « in the merit » he begins the re-foundation of the State through the public service by giving to every state employee or elected representative, a perspective of expression and gratitude of his talents and by proposing to all of them, with the criteria of the « good reputation », a moral orientation toward « the public spirit ». « The res publica, it was me » Napoleon said at the end of his life. His real genius is to have shown the way of a new balance of the civil society. If the historical figure of the man questions us today, it is how this eminently paradoxical social phenomenon, such as the institutional doxa of an individual-actor (his activism of voluntary and deeply thought reform) was able to infuence so deeply the future of the institutions at the dawn of the modernity of France.

Napoléon and music

by Jean-François Marchi

What is the field of the human and social activity which was not approached nor reformed by Napoleon? Impregnated with the ideas of the Encyclopedia, the builder of the new system wanted everything to be governed by the Reason. Thus by the law and the institutions he built. Let us hold on the definition given by Balzac to the pretext of the Land registry: « giant’s work wanted by a giant ». Resuming the intention of Louis XIV, he conceived a cultural policy for purposes of popular construction and education but also of propaganda aimed at the whole world. Of Italianic culture himself, he reorganized both profane and sacred music by making sure of the domination of the Italian song by the creation of the Italian Theater while giving also the first rank to the Imperial Opera, subject to all his favors. He made sure of the career of Méhul and Lesueur intended to make the French taste shining while favoring discretely the Italian song so that this one was durably able to supplant the urlo francese of the past. The undeniable success of this « trompe l’oeil » policy is such that the Italian royal theater will be provided by King Charles X of a director by the name of Gioacchino Rossini who will pursue this policy until the completion of the transformation of the French song with a definitive ascendancy of the melody. Napoleon wanted the music to transform the minds and walk at the same pace than the success of his work.