Revue de l’Institut Napoléon : Numéro 215

Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 215 (2017-2)

Editorial

Les hasards de la recherche historique sont parfois surprenants. Alors que je remontais la route Napoléon en août 2009, préparant un ouvrage sur les Cent-Jours, je fis une incursion du côté d’Embrun. J’avais loué une chambre au château de Picomtal, situé sur la commune de Crots. Là j’apprends que les propriétaires, nouvellement installés, ont découvert, en refaisant une partie du plancher du premier étage, des écrits laissés plus d’un siècle plus tôt par le menuisier qui posait le parquet. Immédiatement je perçois l’intérêt de cette source, car les écrits des gens du peuple sont rares. Les propriétaires me confient le matériau. Je me mets au travail. J’ai à ma disposition 72 phrases laissées par le menuisier entre 1880 et 1881. J’ignore dans quel ordre elles ont été écrites, mais je me rends compte très vite de leur richesse. Il faut d’abord identifier le menuisier et sa famille. Il s’appelle Joachim Martin, est né en 1842, et a appris le métier auprès de son père. Ses écrits montrent qu’il a une certaine culture, sans doute liée aux origines protestantes de sa mère. Il a surtout une conscience de l’histoire, du passé comme de l’avenir. Il sait en effet qu’il ne sera pas lu avant cent ans et lance un message à la postérité : « Heureux mortel, quand tu me liras, je serai plus ». C’est pourquoi il peut livrer les secrets du village. Il se réfère aussi au passé, même si l’on ne trouve sous sa plume aucune allusion ni à Napoléon ni à aucun souverain du XIXe siècle. En revanche, il mentionne quatre dates suivies de noms, qui renvoient aux propriétaires du château depuis la Révolution, lesquels ont aussi été très souvent maires du village. La vie politique locale l’intéresse davantage que l’histoire nationale. En 1792, le château de Picomtal a été acquis par Jean-Louis François de Cressy  qui était lieutenant général du baillage de l’Embrunais avant la Révolution. Il s’implique alors dans l’administration locale, d’abord comme  commissaire du roi pour la formation du département des Hautes-Alpes en mai 1790, puis comme membre de l’administration du département à partir du 8 juillet 1790. En octobre 1791, il devient commissaire des guerres et conserve cette fonction jusqu’en mai 1815, étant de ce fait peu présent au château de Picomtal. Ses deux frères en revanche, Sixte de Cressy et Jacques de Cressy, dit Cressy-Bargheim, y habitent, de même que leur mère, Marie Victoire née Gauthier. Les frères de Jean Louis François sont également impliqués dans la vie de la commune, puisque Sixte est maire des Crottes de 1805 à sa mort en 1810. Son frère Cressy-Bergheim est également brièvement maire du village en 1813, puis reste conseiller municipal jusqu’en 1826. Mais le château a alors été transmis à l’une des deux filles de Jean-Louis François, Elisabeth Eléonore de Cressy, née le 28 octobre 1778 à Embrun. Elle avait épousé en juillet 1795  (9 thermidor an III) le général Achille Victor Fortuné Piscatory de Vaufreland que l’on retrouve sur les rôles d’imposition du village à la fin de l’Empire et au début de la Restauration comme le plus gros contribuable des Crottes. Après avoir exercé plusieurs commandements, le général de Vaufreland avait été mis à la retraite par Napoléon en 1810. Il reprend néanmoins du service au début de la Restauration avant d’être définitivement placé en retraite en 1818. La famille ne vit que partiellement aux Crottes, passant l’hiver à Paris. Joachim Martin évoque aussi le maire du Second Empire, Louis Berthe, également propriétaire du château, dont il précise qu’il est mort à l’annonce de la défaite de Sedan. Il introduit ainsi l’histoire dans ses propos, manifestant un réel souci du passé et nous invitant à être désormais attentifs à toutes ces traces laissées par les gens humbles et anonymes qui, comme Joachim Martin, n’entendent pas le rester[1].

[1] Jacques-Olivier Boudon, Le plancher de Joachim. L’histoire retrouvée d’un village français, Paris, Belin, 2017.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Au service de l’Etat dans la police et la haute administration : le cas du Drômois Claude-François Eymard (1772-1859) du Consulat à la Restauration

par Jean-Michel Piot

C’est un parcours individuel brillant pour le moins original que celui du Drômois Claude-François Eymard (1772-1859). Cet enfant du Tricastin né à Pierrelatte en 1772, fit toute une carrière de « policier » du Consulat à la Restauration, sous les titulaires du portefeuille de la Police générale que furent Fouché duc d’Otrante, Savary duc de Rovigo, Beugnot,  Elie duc Decazes. Ces ministres lui permirent de gravir assez rapidement les échelons hiérarchiques des arcanes de la secrète à savoir ceux de secrétaire général du commissariat de police des ports de la Manche (1809-1811), commissaire spécial de police à La Haye (1813-1814), délégué de la Direction générale de la Police (1814), lieutenant de police extraordinaire (1815), délégué extraordinaire de la Police générale (1816), inspecteur général de police à Grenoble (1816), Inspecteur général attaché au ministère de la Police pour une grande partie du Midi (1817), Inspecteur général et lieutenant de police à Marseille (1818-1820). Créé chevalier de la Légion d’honneur en 1818, Eymard est au faîte du cursus honorum grâce à l’amitié appuyée que lui voue le duc Decazes favori ministériel en titre du roi Louis XVIII. Les Lys des Tuileries récompensent encore sa fidélité politique au régime de la Charte octroyée en le nommant préfet de Corse (1820) – charge délicate s’il en est d’un département au demeurant sensible, qu’il assume discrètement mais avec une réelle efficacité administrative jusqu’en 1822.

Les déboires domestiques ont miné Claude-François Eymard en lui causant des torts considérables : un veuvage douloureux ; une seconde épouse mondaine, procédurière, affairiste et envahissante au possible ; des difficultés financières liées à une certaine folie des grandeurs à Faveyrolles ; un beau-frère officier supérieur ex-aide de camp du maréchal Ney par trop bonapartiste puis orléaniste et républicain à son heure, membre activiste compromis dans les complots de la Charbonnerie française, réintégré au sein des cadres de l’armée tricolore par la Monarchie de Juillet encline à ménager les anciennes gloires de l’Empire.

De la Picardie à la Russie puis de la Russie au Berry, Campagnes et captivité d’un sergent-major du 24e régiment d’infanterie légère

Édition établie, annotée et présenté par Guillaume Lévêque

Le manuscrit du récit inédit de la vie et des campagnes d’un soldat anonyme du Premier Empire a été récemment déposé aux Archives départementales de l’Indre. L’étude de son contenu a permis d’en confirmer la valeur de témoignage et d’en identifier l’auteur. Conscrit de 1808 d’origine picarde devenu sous-officier d’infanterie légère, François-Marie Delevacque a combattu en Autriche en 1809, mais l’essentiel de sa relation est centré sur l’expérience marquante qu’ont été pour lui la campagne de Russie en 1812 et la dure captivité qui en a résulté. L’édition scientifique de ce document est complétée par la présentation biographique de son auteur, qui permet de replacer le texte dans son contexte culturel et social, et d’examiner les conditions de la réinsertion dans la vie civile d’un ancien combattant des guerres napoléoniennes.

Napoléon et la musique

par Jean-François Marchi

Quel est le domaine de l’activité humaine et sociale que Napoléon n’a-t-il pas approché et réformé ?

Imprégné des idées de l’Encyclopédie, le bâtisseur du nouveau système voulut que tout fût régi par la Raison. Donc par la loi et les institutions qu’il édifiait. Retenons la définition qu’en donne Balzac au prétexte du Cadastre : « oeuvre de géant voulue par un géant. »

Reprenant le dessein de Louis XIV, il conçut une politique culturelle à des fins d’édification et d’éducation populaires mais aussi de propagande à destination du monde. De culture italique, il réorganisa la musique tant profane que sacrée en s’assurant de la pérennité du chant italien par la création du Théâtre italien tout en donnant la première place à l’Opéra impérial objet de de toutes ses faveurs. Il s’assura de la carrière des Méhul et Lesueur destinés à faire briller le goût français en favorisant en sous-main celle du chant italien afin que celui-ci pût durablement supplanter le urlo francese du passé.

L’indéniable succès de cette politique en trompe l’oeil est que le théâtre royal italien sera pourvu par le roi Charles X d’un directeur nommé Gioacchino Rossini qui poursuivra cette politique jusqu’à l’achèvement de la transformation du chant français avec l’instauration de la suprématie de la mélodie. Napoléon voulait  ainsi que la musique transformât les esprits et accompagnât la réussite de son oeuvre.