Revue de l’Institut Napoléon : Numéro 217

Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 217 (2018-2)

Editorial

L’exposition Toutankhamon qui ouvrira ses portes à La Grande Halle de la Villette à Paris en mars 2019 sera l’un des événements culturels de l’année. Il faut remonter à 1967 pour trouver trace de la précédente exposition consacrée à ce pharaon mort à 17 ans, dont la tombe n’a été découverte qu’en 1922. C’est parce qu’elle était restée inviolée depuis l’Antiquité qu’on y a retrouvé les trésors déposés depuis au musée du Caire et exposés aujourd’hui à Paris, avant d’intégrer le nouveau musée de Guiseh. Cette tombe fait partie des plus visitées de la vallée des Rois alors même qu’elle ne présente pas un intérêt aussi vif que beaucoup d’autres. Elle n’était sans doute pas destinée à un souverain. Mais le paradoxe veut que Toutankhamon soit un des pharaons les plus populaires, alors qu’on ne sait pas grand’ chose de lui puisqu’il est mort très jeune. Cette popularité est l’un signes persistants d’une égyptomanie qui n’a cessé de se développer depuis l’époque de l’expédition d’Egypte. Parmi les plus anciennes des tombes connues figurent celles que découvrent les soldats et savants qui accompagnent Bonaparte en Egypte en 1798. Edouard de Villiers du Terrage a laissé un récit de la découverte des lieux. « L’entrée de cette vallée se fait par un passage très étroit où les roches paraissent avoir été taillées de main d’homme. C’est là que se trouvent les onze tombeaux décrits par les anciens auteurs, les seuls connus avant nous ». Il s’émerveille devant la tombe de Ramsès III qui contient encore le sarcophage rouge désormais au Louvre ; il évoque les peintures murales et en particulier les scènes de harpistes. Il souligne aussi combien les lieux sont dégradés par les fientes des innombrables chauves-souris qui habitent ces grottes. Puis à force de parcourir la montagne, Villiers du Terrage et Prosper Jollois découvrent un douzième tombeau qui s’avère être le tombeau d’Aménophis III. Mais ils n’ont pas la chance de Carter découvrant la tombe de Touthankamon. Le tombeau a en effet déjà été visité et le sarcophage emporté. Seul gît sur le sol le couvercle. Après la vallée des Rois, les deux savants franchissent le Nil et visitent le temple de Karnak, puis celui de Louxor, émerveillés avant par « deux obélisques monolithes de granit, dont les hiéroglyphes décorant les faces, sont sculptés avec la dernière précision ». On sait que l’obélisque de droite sera envoyé en France au début de la monarchie de Juillet, cadeau offert par Mehemet Ali à la France, et installé au centre de la place de la Concorde. Auparavant les récits des acteurs de l’expédition d’Egypte, à commencer par celui de Vivant Denon publié dès 1802, puis la parution de la monumentale Description de l’Egypte à partir de 1809, ont contribué à développer l’intérêt des Français pour ce pays et son histoire, au point que la mode « retour d’Egypte » fait fureur. Napoléon Bonaparte ainsi réussi le tour de force de transformer une expédition militaire désastreuse en une réussite scientifique de premier plan, faisant ainsi de la campagne d’Egypte l’un des moments forts de sa légende.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Une mémoire urbaine : les séjours de Napoléon à Lyon

par Cédric Audibert

Cet article propose de mieux comprendre comment le souvenir des passages de Napoléon à Lyon a contribué à forger l’identité de cette ville. Cette étude, qui ne vise pas à réévaluer l’opinion publique, réinterroge les témoignages de soutiens pour leurs usages bien plus que pour ce qu’ils pourraient nous apprendre des sentiments réels des Lyonnais. Ces manifestations, retranscrites par les édiles ou émanant de thuriféraires, font émerger une singularité lyonnaise – revendiquée – affichée par l’empereur lors de sa venue en 1815 et d’un célèbre discours qu’il clôt par les mots : « Lyonnais, je vous aime ! ». Inscrits dans les Annales de la cité, ils sont, depuis la chute de l’empereur, entrés dans la mémoire lyonnaise. Il est nécessaire d’analyser celle-ci dans la longue durée, parce que d’une part, elle est au cœur des enjeux et des luttes politiques et parce qu’elle influe d’autre part sur l’écriture de l’Histoire. Il ne faut pas pour autant négliger ni les images ni les objets, lesquels rappellent la présence du « grand homme », et ce d’autant que les pièces collectionnées peuvent, dans certains cas, faire leur entrée au patrimoine de la ville.

Une lettre suspecte du tsar Alexandre à Napoléon à propos de  la mort de sa fille présumée, la grande duchesse Élisabeth Aleksandrovna[1]

par Sergey N. Iskyul

Les Archives historiques de l’Institut d’histoire de l’Académie des Sciences conservent deux documents intrigants qui font partie de la collection d’autographes de l’académicien Nicolas Likhatchev. L’un est une lettre en russe adressée par le tsar Alexandre à Napoléon, l’autre sa traduction en français. Alexandre annonce à Napoléon la mort de la grande duchesse Élisabeth Aleksandrovna, née le 3 novembre 1806, qui est officiellement sa fille, mais qui est en fait née de l’idylle entretenue entre  l’impératrice et un capitaine de la garde, Alekseï Iakovlevitch Okhotnikov, lui-même poignardé le 5 octobre 1806. Cette lettre est un fait un faux, le passage par le russe étant inutile. Par ailleurs il est peu probable qu’Alexandre ait souhaité annoncer aussi officiellement la mort d’ue enfant qu’il savait être d’un autre.

Un dépôt légal européen : les ambitions de Napoléon pour la Bibliothèque impériale[2]

par Charles-Eloi Vial

Objet de toute l’attention de Napoléon, la Bibliothèque impériale connut sous l’Empire une activité débordante et une croissance rapide de ses collections de livres, de manuscrits et d’estampes, grâce à des crédits exceptionnels et à l’envoi de trésors bibliophiliques saisis dans les pays occupés. Cet enrichissement prolongeait la politique des saisies révolutionnaires des biens artistiques dont le Louvre avait été le grand bénéficiaire, mais aussi l’ambition des rois de France d’installer d’une bibliothèque encyclopédique au cœur de Paris. Plus encore, cette politique de collecte de livres aurait dû être systématisée dans le cadre d’un dépôt légal au plan européen, qui aurait été à la fois un outil précieux pour les savants, mais aussi un moyen de contrôle et de censure. Les projets soumis à l’empereur par l’architecte Fontaine et par les conservateurs de la Bibliothèque impériale en 1807 ont ainsi esquissé les contours d’une « très grande bibliothèque » capable d’accueillir toute la production intellectuelle du continent jusqu’en 1857, facette inédite bien qu’inachevée de la politique culturelle du Premier Empire.

Les campagnes militaires du général San Martin au Chili (1817-1818)

par Jérôme Louis

Le général José de San Martin est le héros de l’indépendance chilienne. Il commence sa carrière dans l’armée espagnole et combat contre les Portugais durant la guerre des Oranges en 1801. Lorsque les troupes de Napoléon envahissent l’Espagne, il lutte contre l’occupation française. Côtoyant les Britanniques, et notamment Lord Macduff, qui ont débarqué dans la péninsule ibérique, il se rend à Londres et rejoint les loges maçonniques qui projettent l’indépendance de l’Amérique latine. En 1812, San Martin arrive à Buenos Aires où les autorités lui confient la mission de former un régiment de grenadiers à cheval. Il est ensuite chargé de protéger les rives du Parana contre un débarquement espagnol. À San Lorenzo, le 3 février 1813, ses cavaliers repoussent les troupes royalistes fidèles à Madrid. Lorsque Napoléon est battu, le roi d’Espagne Ferdinand VII rétablit son autorité au Venezuela, au Pérou et au Chili. Mais les troupes de Bolivar reprennent le dessus. Le général argentin San Martin décide alors de mener une expédition pour libérer le Chili après avoir franchi la Cordillère. Il bouscule les Espagnols à Chacabuco le 12 février 1817, mais les patriotes sont battus à Cancha Rayada le 19 mars 1818. Victorieux à Maipu, le 5 avril 1818, les généraux chiliens San Martin et O’Higgins se donnent l’accolade. Le Chili devient un État pleinement indépendant.

English Digest

by Gerald G. Guétat

An urban memory: Napoleon’s stays in Lyon

by Cédric Audibert

This article aims at better understanding how the memory of the Napoleon’s stays in Lyon contributed to cast the identity of the city. This study, which is not intended to re-evaluate the public opinion, scrutinises the testimonies of support for what they can tell us of local habits far more than they could teach us about the real feelings of  Lyon’s residents. These testimonies, transcribed by city councillors or brought by thuriferaries, demonstrate a claimed singularity of Lyon as displayed by the emperor when he came in 1815 and a made a famous speech ending with these words: « People of Lyon, I love you! »

Provided in the Annals of the city, they have, since the fall of the emperor, been part of the memory of Lyon. It is essential analysing this memory on a long term perspective, as it is both the core of political issues and struggles and has an impact on the writing of History. However, we must not overlook the images or items which are reminiscent of the presence of the « great man », especially since the collected features may, in some cases, enter fully into the city’s heritage.

A suspicious letter from Tsar Alexander to Napoleon about the death of his alleged daughter, the great duchess Elisabeth Aleksandrovna

by Sergey N. Iskyul

The Historical Archives of the Institute of History of the Academy of Sciences keep two intriguing documents which are part of the collection of autographs of the academician Nicolas Likhatchev. One is a letter in Russian written by Tsar Alexander to Napoleon, the other its translation into French.

Alexander announces to Napoleon the death of the great Duchess Elizabeth Aleksandrovna, born on November 3, 1806, who is officially his daughter, but who was born of the idyll between the Empress and a captain of the guard, Aleksey Yakovlevich Okhotnikov, stabbed on October 5, 1806. This letter is a fact a forgery, the translation in Russian being useless. Moreover, it is unlikely that Alexandre wanted to announce officially the death of one child that he knew to be of another.

A European legal deposit: the ambitions of Napoleon for the Imperial Library

by Charles-Eloi Vial

A major concern of Napoleon, during the Empire, the Imperial Library was overflown by the fast growth of its collections of books, manuscripts and prints, through exceptional financing and the importation of seized bibliophilic treasures from the occupied countries. This enrichment was a direct consequence of the policy of revolutionary seizures of artistic property of which the Louvre had been the great beneficiary, but also a continuation of the ambition of the kings of France to settle an encyclopaedic library in the heart of Paris.

Moreover, this policy of collecting books would have been systematised in the context of a legal deposit in Europe, which would have been both a valuable tool for scholars, but also a means of control and censorship. The projects submitted to the Emperor by the architect Fontaine and by the curators of the Imperial Library in 1807 thus sketched out the contours of a «very large library» able of sheltering all the intellectual production of the continent until 1857, an unprecedented aspect, though unfinished, of the cultural policy of the First Empire.

General San Martin’s military campaigns in Chile (1817-1818)

by Jérôme Louis

General José de San Martin is the hero of Chilean independence. He began his career in the Spanish army and fought against the Portuguese during the Orange War in 1801. When Napoleon’s troops invaded Spain, he fought against the French occupation. Rubbing shoulders with the British, and especially Lord Macduff, who landed on the Iberian peninsula, he went to London and joined the Masonic lodges that project the independence of Latin America. In 1812, San Martin arrived in Buenos Aires where the authorities entrusted him with the mission of forming a regiment of mounted grenadiers. He is then charged with protecting the banks of the Parana against a Spanish landing.

In San Lorenzo, on February 3, 1813, his cavalry pushed back the royalist troops loyal to Madrid. When Napoleon was defeated, the King of Spain Ferdinand VII restored his authority on Venezuela, Peru and Chile. But Bolivar’s troops took over. The Argentinean general San Martin then decided to lead an expedition to liberate Chile after crossing the Cordillera. He pushed the Spaniards in Chacabuco on February 12, 1817, but the patriots were beaten in Cancha Rayada on March 19, 1818. Victorious in Maipu, on April 5, 1818, the Chilean generals San Martin and O’Higgins congratulate each other. Chile becomes a fully independent state.

 

[1] Traduction de Florence Dupont.

[2]        Cet article est tiré d’une intervention au colloque « Annexer la mémoire, centraliser le savoir dans l’Europe napoléonienne », organisé par la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales, l’École nationale des chartes et l’Université Paris-Sorbonne, les 1er et 2 juillet 2013.