Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 219 (2019-2)

Editorial

Il arrive souvent quand on annonce que l’on travaille sur l’époque napoléonienne que surgisse la question : « Mais peut-on encore découvrir des faits nouveaux sur cette période » ? La réponse est naturellement positive, mais suppose d’être argumentée. La Revue de l’Institut Napoléon peut y aider, puisqu’elle publie deux fois par an le fruit de recherches récentes sur l’époque napoléonienne et son héritage, recherches qui généralement s’appuient sur des archives inédites ou des sources relues à nouveau frais. C’est aussi la grande fierté de la Revue que de publier des sources inédites comme peut le faire aussi la Collection de l’Institut Napoléon. Dans le présent numéro de la RIN, il a ainsi été possible de réunir deux passages des mémoires de Caulaincourt qui ne figuraient pas dans l’édition, pourtant très précieuse, proposée par Jean Hanoteau dans les années 1930. C’est au Canada, plus précisément à Montréal, que Charles-Eloi Vial a découvert un manuscrit de Caulaincourt consacré à la fin des Cent-Jours. Quant à Olivier Varlan, auteur de la plus récente biographie du duc de Vicence qui s’est vu décerner le prix de la biographie historique par l’Académie française, il nous propose un passage, toujours conservé dans les archives familiales, concernant la campagne de 1806-1807. Fidèles à la méthode d’édition de textes qu’ils ont apprise au cours de leurs études à l’Ecole des chartes, ils fournissent les compléments nécessaires à la compréhension de ces documents. C’est l’occasion de redire la nécessité que les publications de sources, même sous forme de réédition, soient enrichies d’un appareil critique qui permette de replacer le document dans son contexte et d’en comprendre les allusions parfois obscures. C’est à ce prix que ces sources pourront être accessibles par le plus grand nombre et enrichir notre connaissance de la période napoléonienne. Il est aussi important de revenir aux manuscrits originaux quand leur localisation est connue. On sait que de nombreux mémoires de l’époque napoléonienne ont fait l’objet de coupes, voire de réécritures – sans parler de l’œuvre des teinturiers. Le jugement porté au moment de la publication sur l’intérêt de tel ou tel passage, a pu évoluer au fil des années. On gagne en tous les cas toujours à revenir au manuscrit original. C’est tout l’intérêt de l’entreprise lancée par la Fondation Napoléon quand elle a décidé de publier le manuscrit original du Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases, puis plus récemment le Journal de Gourgaud qui n’avait été que partiellement transcrit. Devrait suivre l’édition des Cahiers de Bertrand. Ces éditions, désormais regroupées dans la Bibliothèque de Sainte-Hélène, dirigée par Thierry Lentz, permettront d’affiner notre connaissance de l’exil hélénien, mais également de la personnalité de Napoléon. C’est aussi un appel à poursuivre les recherches dans les dépôts d’archives comme chez les particuliers en quête de documents inédits qui feront demain le bonheur des éditeurs et des chercheurs.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Avant les Mémoires de Caulaincourt : un récit de la campagne de 1806-1807 par le duc de Vicence

par Olivier Varlan

Rendus célèbres par le fameux récit du retour de Napoléon en traîneau à la suite du passage de la Bérézina, les mémoires d’Armand de Caulaincourt (1773-1827), duc de Vicence et grand-écuyer de l’Empire, ne commencent qu’en 1807 et traitent presque uniquement de la campagne de 1812 et de la première abdication de l’empereur (1814). Ses archives personnelles conservent toutefois différents documents qui sont autant d’ébauches de chapitres que le duc de Vicence – faute de temps ou de matière – n’a finalement pas retenu dans le texte définitif de ses mémoires. Il en est ainsi de ce récit de la campagne de 1806-1807 contre la Prusse et la Russie qui évoque notamment les négociations diplomatiques qui précèdent l’entrée en guerre, les batailles d’Iéna et d’Auerstaedt, l’occupation de Berlin par les Français, les pénibles conditions de la progression des troupes de la Grande Armée en Pologne et qui s’achève au lendemain de la bataille d’Eylau.

 

Un chapitre inédit des mémoires de Caulaincourt : la fin des Cent-Jours et la commission de gouvernement

par Charles-Éloi Vial

La Bibliothèque de l’Université McGill de Montréal, déjà bien connue des chercheurs pour ses importantes collections de gravures et caricatures napoléoniennes, conserve un lot de documents provenant de Caulaincourt, de provenance inconnue. Parmi ceux-ci, un manuscrit complet, comportant un récit des Cent-Jours par le grand écuyer de l’Empereur, coïncidant avec d’autres fragments conservés dans le fonds Caulaincourt des Archives nationales de Paris, est édité pour la première fois. Qu’il s’agisse d’une adjonction aux célèbres Mémoires publiés par Jean Hanoteau en 1933 ou d’un projet de brochure justificative destinée à être publiée à part, ce document permet de redonner la parole à un des acteurs majeurs de cette période, d’abord comme ministre des Relations extérieures puis comme membre de la commission provisoire de gouvernement, complétant les témoignages déjà connus de Fouché ou de Fleury de Chaboulon.

 

Les prisonniers de guerre étrangers dans le département de la Charente sous le Consulat et l’Empire

par Stéphane Calvet

Totalement épargné par les combats, le département de la Charente n’en reste pas moins une circonscription fortement touchée par l’état de guerre quasi-permanent des périodes révolutionnaire et impériale. Outre le fait qu’il est un foyer de départ pour de nombreux jeunes gens appelés au service armé, il devient également un espace de captivité pour de nombreux soldats de l’Europe coalisée. Une situation inédite pour les autorités locales amenées à gérer des flux constants de prisonniers de guerre, en particulier espagnols à partir de 1808. Très dispersées, les sources nous permettent de rappeler à quel rythme ces prisonniers ont transité par le département. Mais elles nous engagent également à étudier les rapports que l’administration et les populations civiles ont entretenu avec ces captifs qui, pour certains, n’envisagent pas un retour dans leur terre natale en 1814. Ainsi, l’article suit sur plusieurs décennies les étrangers qui fondent un foyer dans le département.

 

Un anti-héros de l’épopée napoléonienne. Le général Despinoy (1764-1848)

par Jacques-Olivier Boudon

Le général Despinoy termine sa carrière en 1830 comme gouverneur de la 12e division militaire, à Nantes, où il s’était notamment illustré en mettant à jour en 1822 la conspiration dite des quatre sergents de La Rochelle. Entré dans l’armée à la fin de l’Ancien Régime, il gravit rapidement les échelons au début de la Révolution, est présent à Toulon, puis participe à la campagne d’Italie, Bonaparte le nommant gouverneur de Milan et de la Lombardie.  Il est déjà alors général de division. Mais sa carrière connaît un coup d’arrêt. Sans activité pendant cinq ans, il finit par retrouver un poste de commandant de place à Perpignan, puis à Alexandrie. Alors que ses compagnons d’armes s’illustrent à travers l’Europe, il végète dans cette place du Piémont où il s’avère très procédurier. Exemple type de l’anti-héros de l’épopée napoléonienne, gonflé de rancœur à l’égard de Napoléon, il allait s’affirmer comme un zélé défenseur de la monarchie restaurée.