Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 211 (2015-2)

Editorial

Les commémorations de l’arrivée de Napoléon à Sainte-Hélène, le 16 octobre 1815, ont ouvert un nouveau cycle de manifestations qui devraient se prolonger pendant quelques années, jusqu’au bicentenaire de la mort de l’empereur. Au printemps 2016, le Musée de l’Armée consacrera une grande exposition à Sainte-Hélène, en présentant le mobilier de Longwood, revenu en France pour restauration, dans le cadre des grands travaux, entrepris avec l’aide de la Fondation Napoléon et des souscripteurs qu’elle a sollicitée, pour réhabiliter le domaine dans lequel Napoléon vécut pendant près de six ans. Mais c’est naturellement l’ouverture d’un aéroport à Sainte-Hélène qui attire toutes les attentions. Il favorisera incontestablement les liaisons avec cette petite île perdue au milieu de l’Atlantique sud, qui ne pouvait jusqu’à maintenant être atteinte qu’après au moins cinq jours de mer. Désormais quelques heures de vol suffiront pour se rendre sur les lieux où Napoléon vécut ses dernières années. Certains nostalgiques pourront s’inquiéter de cette ouverture et craindre que le souvenir de l’empereur soit dénaturé. D’autres au contraire verront dans cette création une formidable occasion de faire encore mieux connaître au monde entier l’homme et son époque. Car ce ne sont pas uniquement les Français ou même les Européens qui se verront ainsi ouvrir les portes des domaines français de Sainte-Hélène, que sont Longwood, la Tombe et les Briars, dont la gestion relève du ministère des Affaires étrangères. Les visiteurs viendront en effet du monde entier, et sans doute en particulier de Chine, puissance en plein essor, dont les habitants sont particulièrement fascinés par le personnage de Napoléon. Sans doute aussi, en se rendant à Sainte-Hélène, auront-ils une pensée pour leurs compatriotes, venus sur l’île pour y travailler à l’époque où Sainte-Hélène appartenait à la Compagnie des Indes. Principale richesse touristique de Sainte-Hélène, les lieux napoléoniens seront naturellement la principale attraction de l’île, mais l’aéroport permettra aussi de désenclaver un territoire dont la majeure partie de la population doit aujourd’hui émigrer pour trouver du travail, notamment à Ascencion. Elle pourra désormais plus aisément revenir à Sainte-Hélène, tandis que l’accroissement des activités touristiques devrait permettre de créer sur place des emplois, notamment dans l’hôtellerie et la restauration. Ainsi l’île devrait à nouveau vivre l’effervescence qu’elle avait connue quand Napoléon y était prisonnier, en se disant que sans la venue de l’empereur déchu sur son sol, elle ne serait jamais devenue l’une des îles les plus célèbres du monde.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Les élections dans le département de Seine-et-Marne sous le Consulat et l’Empire

par Laurent Refuveille

Loin d’être une simple farce, les élections à l’époque napoléonienne eurent un rôle qui mérite une réévaluation. Les procédés électoraux, que ce soient les référendums ou les élections de juges ou de divers représentants, ont laissé d’importantes archives et constituaient un élément important pour le pouvoir.

Il ne s’agissait pas de désigner des représentants, au sens politique du terme, mais d’obtenir un assentiment du peuple, par le suffrage qui est très vite devenu universel, et une coopération des élites par le biais de grands électeurs.

En Seine-et-Marne, un département calme et coopératif, les élections donnèrent lieu à de vastes opérations, parfois longues, mais qui au final ne concernaient qu’une partie réduite des électeurs, avec une surreprésentation des élites et fonctionnaires.

Au lieu d’analyser ces élections comme une parodie, il faut y voir un processus différent de construction de la modernité politique ; certes, non pas vers la démocratie représentative, mais par le biais d’élections régulières, avec la généralisation des urnes, et un code électoral globalement respecté, première base d’un État de droit.

Scruter les passions : le sous-préfet et la police impériale face à l’affaire Gerlach

par Vincent Haegele

Nombreuses ont été les tentatives pour assassiner l’empereur Napoléon. La plupart d’entre elles ont fait l’objet d’enquêtes et d’investigation documentées dès l’époque impériale, de la part des autorités puis des mémorialistes. L’affaire Gerlach, qui occupe pendant plusieurs mois la police française de Hambourg et de Lunebourg, sous-préfecture du département des Bouches-de-l’Elbe, appartient à une catégorie moins connue, celle des dénonciations calomnieuses. Elle témoigne néanmoins de la très grande précision avec laquelle opèrent les services impériaux, de leurs propres dissensions internes, ainsi que des rapports complexes entretenus avec la population allemande et ses élites. Enfin, l’affaire Gerlach met en lumière le sang-froid et l’indéniable habileté d’un tout jeune haut fonctionnaire d’à peine 24 ans, Hyacinthe-Claude Barthélémy, pur produit de l’administration postrévolutionnaire qui se met en place dans les confins de l’Empire. C’est sur les épaules de ce jeune homme, secondé par un policier aguerri, le commissaire d’Aubignosc, que repose le poids d’une enquête devant déterminer si les jours de Napoléon sont bien en danger, ou non.

Discontinuité et écriture mémorielle 1814-1815 dans les mémoires des hommes de Napoléon

par Natalie Petiteau

Les années 1814-1815 sont d’une telle richesse événementielle, tantsur le plan politique que militaire, qu’elles ont donné lieu à nombre de réflexions chez les mémorialistes. On se propose d’examiner ici la vision des événements que les hommes et les femmes fidèles à l’Empire ont retenue et transmise. Leurs lectures de la défaite sont révélatrices de leur persistante fascination pour l’empereur et de leur désespoir face à l’acharnement des Alliés. Ils ne cachent cependant pas l’épuisement de la France, mais ils fustigent les trahisons et l’absence de dévouement pour la patrie. Leur analyse de la première Restauration vise ensuite à démontrer que le régime des Bourbons n’était pas viable. Le retour de l’île d’Elbe en est donc, selon eux, la suite logique. Mais les hommes de l’Empire ne se cachent pas d’avoir vite compris que la restauration impériale n’était pas forcément plus viable que celle de l’Ancien Régime. Finalement, la mémoire des années 1814-1815 est tissée par les ruptures et lescontinuités qui ont marqué le passage de l’Empire au XIXe siècle.

L’article qui fait le pendant de celui-ci et que je cite en introduction est paru : « La mémoire royaliste de 1814-1815 », dans Jean-Claude Caron, Jean-Philippe Luis [dir.], Rien appris, rien oublié. Les Restaurations dans l’Europe post-napoléonienne. Actes du colloque de Clermont-Ferrand, Rennes, PUR, 2015, p. 169-181.

Hubert-Louis Lorquet, précurseur de la légende napoléonienne  ou le Victor Hugo de l’Ile Maurice

par Jacques Macé

En 1822, un professeur français de l’Ile Maurice – ancienne Ile de France annexée en 1815 par la Grande-Bretagne -, fervent admirateur de Napoléon 1er, publie anonymement un poème en dix chants, long de cinq mille alexandrins, magnifiant la vie et les exploits de son idole. Identifié, il est exclu du corps enseignant britannique de l’île.

Diffusée aux Etats-Unis et en Belgique, puis clandestinement en France, cette œuvre est faussement attribuée à Joseph Bonaparte, l’ex-roi d’Espagne, qui tente sans grand succès de démentir la rumeur de cette attribution. Sous la Monarchie de Juillet, ce professeur, nommé Hubert-Louis Lorquet, a le plus grand mal à se faire reconnaître comme le véritable auteur du poème, avant d’être oublié en dehors de l’île Maurice. Aujourd’hui encore, l’attribution au roi Joseph est parfois reprise dans certains ouvrages. Le présent article reconstitue l’existence d’H.L. Lorquet, en France puis à l’Ile Maurice, dans le but de réhabiliter sa mémoire, et permet d’apprécier la ferveur napoléonienne et le style épique de son poème, présenté en version condensée.

Abstracts

The elections in the department of Seine-et-Marne under the Consulate and the Empire

by Laurent Refuveille

Far from being a simple joke, the elections in the napoleonic period had a role which deserves a revaluation. The electoral processes, whether they are the referendums or the elections of judges or diverse representatives, left considerable archives and were an important moment for the power. The question was not to appoint representatives, in the political sense, but to obtain both an approval of the people, by the vote which very fast became universal, and a cooperation of elites by means of electors. In Seine-et-Marne, a quiet and cooperative department, the elections gave rise to vast operations, sometimes long, but which in the end concerned only a reduced portion of the voters, with an over-representation of elites and state employees. Instead of analyzing these elections as a parody, it is necessary to observe there a process different from construction of the political modernity; surely not towards the representative democracy, but by means of repeat elections, with the generalization of ballot boxes and a globally respected electoral code, the first base of a State subject to the rule of law.

Scrutinize the passions: the sub-prefect and the imperial police in front of the Gerlach case

by Vincent Haegele

Numerous were the attempts to murder emperor Napoleon. Most of them were subject to inquiries and investigation documented from the imperial time, on behalf of the authorities then memorialists. The Gerlach case, which made busy the French police of Hamburg and Luneburg, sub-prefecture of the department of Bouches-de-l’Elbe during several months, belongs to a less known category, that of the false accusations. It shows nevertheless the high precision with which operate the imperial services, their own internal dissensions, as well as the complex relationships kept with the German population and her elites. Finally, the Gerlach case highlights the self-control and the undeniable skill of a very young senior official aged only 24, Hyacinthe-Claude Barthélémy, a pure product of the postrévolutionnaire administration which is set up at the borders of the Empire. This young man, assisted by a much experienced policeman, police commissioner d’Aubignosc, have the full responsibility of an investigation that must decide whether Napoleon is seriously threatened or not.

Discontinuity and memory writing 1814-1815 in the memoirs of Napoleon’s men

by Natalie Petiteau

Years 1814-1815 are of such a factual wealth, as much on the political side that on the military one that they gave rise to number of reflections by the memorialists. We suggest examining here the vision of the events that men and women faithful to the Empire retained and passed on. Their readings of the defeat are revealing of their  persistent fascination for the emperor and of their despair in front of the doggedness of the Allies. They do not however hide the exhaustion of France, but they castigate the treasons and the absence of dedication for the homeland. Their analysis of the first Restoration aims then at demonstrating that the Bourbons regime was not viable. According to them, thus the return from the Elba Island is there the logical result. But the men of the Empire do not hide to have quickly understood that the imperial restoration was not necessarily more viable than that of the Ancien Régime. Finally, the memory of the years 1814-1815 is weaved by the breaks and continuities which marked the passage from the Empire in the XIXth century.

The article which makes the counterpart of this one and which I quote in introduction is published:  » La mémoire royaliste de 1814-1815 « , in Jean-Claude Caron, Jean-Philippe Luis [ dir ] ., Rien appris, rien oublié. Les Restaurations dans l’Europe post-napoléonienne. Proceedings of the symposium of Clermont-Ferrand, Rennes, PUR, 2015, p. 169-181.

Professor Hubert-Louis Lorquet who pioneered the Napoleonic legend and is considered to be the Victor Hugo of the Mauritius Island

by Jacques Macé

In 1822, Lorquet was a French Professor living in the Mauritius Island (an ex colony of France who was annexed by the English in 1815). Being a strong admirer of Napoleon the 1st, he had anonymously published a poem of 10 songs, 5000 alexandrines in length, magnifying the life and exploits of his idol. When the British learned of this, the professor was forbidden to exercise his profession of teaching in the royal college of the island.

His work was subsequently distributed in the United States and the Belgium, also in France via the underground market, and erroneously thought to be the work of Joseph Bonaparte, the ex King of Spain, who was determined without success, to bring the rumors to a halt. He was adamant the work was his.

Under the “Monarchy of July”, the professor Lorquet found it very difficult to prove that in fact he was the author of these poems. Even in the present times, the rumor that these works are that of King Joseph persists. This article has been written to reaffirm the existence and attributes of Professor H. L. Lorquet in both France and the Mauritius Island, furthermore to re-establish his memoires, as well appreciating his Napoleonic devotion and his profound epic style [which is presented in a condensed version].