Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 208 (2014-1)

Editorial

L’année 2014 aura été marquée par le choc des centenaires, celui de la campagne de France de 1814 et celui des débuts de la Grande Guerre. Même si l’avalanche de livres sur 1914 a inondé les librairies, le bicentenaire de 1814 a tenu honorablement sa place dans le monde éditorial, une bonne douzaine de livres lui étant consacrés, allant des synthèses générales au récit d’une bataille particulière. Surtout la chronologie décalée des deux centenaires a permis de faire toute leur place aux commémorations des différentes phases de la campagne de France, parfaitement coordonnées par les soins de l’association 1814, présidée par Guy Carrieu, depuis le départ de Napoléon de Paris en direction de l’est jusqu’aux adieux de Fontainebleau. Commencée par l’évocation du lancement de la campagne, à Châlons-en-Champagne, le samedi 25 janvier, les commémorations se sont égrenées au fil des semaines, particulièrement le week-end, et ont rencontré un vif succès auprès du public, les deux journées organisées à Fontainebleau, le week-end de Pâques, ayant connu un succès particulier, mais partout de Montereau à Brienne, de Saint-Dizier à Tinqueux, l’intérêt a été soutenu et ces manifestations ont généralement réussi à mobiliser les médias locaux, voire nationaux. Cet intérêt pour les derniers jours de l’Empire s’explique par l’écho d’une campagne militaire marquée par de nombreuses victoires, malgré l’échec final, et que l’on a souvent comparée à la première campagne d’Italie. Mais cet intérêt est aussi lié à la personnalité de Napoléon, le bicentenaire de ses derniers combats permettant de réfléchir à ce qu’ont été son action et son œuvre. En période de crise et d’affaiblissement du pouvoir exécutif, la figure de l’homme providentiel retrouve toujours une certaine faveur. Ce n’est évidemment pas un hasard si un ancien premier ministre, Lionel Jospin, a choisi ce moment pour dresser le bilan de l’œuvre de Napoléon, dans un ouvrage paru en mars 2014, intitulé Le Mal napoléonien. L’analyse est à charge, ce qui n’est pas surprenant, L. Jospin s’inscrivant dans une tradition politique classique à gauche qui considère l’Empire comme l’antithèse de la République. Mais est-ce bien de Napoléon dont Lionel Jospin voulait parler aux lecteurs ?  On peut aussi lire ce livre comme une réflexion sur l’échec en politique qui renvoie à la défaite du candidat socialiste le 21 avril 2002. S’interroger sur l’échec devrait conduire à réfléchir sur les meilleures solutions possibles pour l’avenir.

En 1914, la France ne s’était guère mobilisée pour célébrer le centenaire de la campagne de France. Quelques manifestations locales avaient été organisées sur les champs de bataille concernés, mais l’écho en fut faible, un journal comme Le Matin par exemple n’y faisant jamais allusion. On trouve en revanche une mention des commémorations des combats de Brienne et Reims dans La Croix. A une époque de forte tension diplomatique et de menace de guerre, sans doute la presse ne cherche-t-elle pas à trop insister sur l’échec final de Napoléon. Et puis la République se souvient qu’elle est née de la chute de l’Empire, même si l’on salue dans la presse la naissance du fils de Victor Napoléon, le petit Louis, né à Bruxelles le 23 janvier 1914. Paradoxalement c’est après le début de l’entrée en guerre, en août 1914, que la comparaison avec le Premier Empire est utilisée, en particulier en Angleterre, où l’on compare Napoléon à l’empereur allemand Guillaume II et où le premier ministre Asquith dénonce le danger d’un nouveau « napoléonisme ». La réaction d’Edouard Driault ne se fait pas attendre. Dans le numéro de septembre 1914 de la Revue des Etudes napoléoniennes qu’il dirige, il fustige cette comparaison, dans un article intitulé « 1814-1815, 1914-1915 », rappelant tout ce que l’Europe doit à Napoléon, et faisant de ce dernier le père des nationalités italienne et allemande, ainsi que le refondateur de la Pologne. A propos de l’Allemagne, il souligne tout ce qu’elle doit à l’Empire en un tableau idyllique, qui mériterait naturellement d’être nuancé, mais par lequel Driault retourne l’argument anglais, faisant de Napoléon le symbole de l’opposition non pas à la science ou à l’esprit allemand, mais à l’Allemagne féodale. « Le Saint Empire romain germanique a été écrasé à Austerlitz ; sous la forme dernière qu’il a prise avec la Prusse, l’esprit de Jemmapes et d’Austerlitz lui infligera un désastre suprême ». Et Driault termine pas ces mots : « la gloire de l’Empereur rayonnera par contraste plus éclatante sur l’Europe des peuples délivrés ». Autrement dit au début de 1914, face à l’invasion allemande dans le nord et l’est de la France, l’esprit de Napoléon est mobilisé pour repousser l’adversaire.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Le personnel de la Caisse d’amortissement sous le Consulat et l’Empire

par Jacques-Olivier Boudon

La Caisse d’amortissement a été créée immédiatement après le coup d’Etat de Brumaire, pour favoriser le rétablissement de la confiance dans le pays. D’abord dirigé par trois administrateurs, elle hérite d’une direction unique en 1801, lorsque Mollien en prend la tête. Il est ensuite remplacé par Jean Béranger en 1806. Mais au total ce sont plus de 70 employés qui ont travaillé pour la Caisse sous le Consulat et l’Empire. L’étude de leurs origines, géographiques, sociales et professionnelles, offre l’image d’un groupe d’individus qui est parfaitement parvenu à surmonter l’épreuve de la Révolution française. Originaires de la bourgeoisie, ils trouvent au sein de la Caisse une institution qui leur offre un emploi stable et un traitement qui, sans être très élevé, leur assure un revenu fixe et pérenne. 42 poursuivent leur carrière au sein de la Caisse des dépôts fondé en 1816, le plus souvent jusqu’à leur retraite ou leur mort. L’étude des origines et de la vie de ces employés est suivie d’un dictionnaire qui retrace le parcours de 71 employés de la Caisse, à partir des diverses sources disponibles.

Chefs de brigade, colonels et capitaines de vaisseau sous le Consulat et l’Empire

par Bernard Quintin

La reprise de la guerre avec l’Angleterre, un an après la signature du traité d’Amiens, impose une profonde réforme de notre organisation militaire. Le texte essentiel pour l’armée de Terre est l’arrêté du 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803), qui remplace le grade de chef de brigade par celui de colonel et le terme de demi-brigade d’infanterie par celui de régiment.

Les 1027 chefs de brigade et colonels qui ont été répertoriés en activité de service pendant la période consulaire se classent en 3 catégories : 267 ont en principe cessé de servir avant la fin du Consulat, 336 ont poursuivi en qualité de colonel leur carrière sous l’Empire, 424 ont été promus au grade de général sous l’Empire et leurs notices biographiques figurent dans le dictionnaire de Georges Six. Dans cette étude, seules les deux premières catégories sont prises en compte.

La marine de guerre fait l’objet d’un rapide examen concernant les 77 capitaines de vaisseaux qui ont servi sous le Consulat.

« A la recherche du mameluck Ali » Les manuscrits et leur publication

par Jacques Jourquin

Récit de la découverte, du déchiffrement et de la parution des manuscrits du mameluk Ali (Louis-Etienne Saint-Denis), qui accompagna Napoléon de 1812 à 1821. Une version partielle de ses Souvenirs fut publiée en 1926. Dans les années 1970 plusieurs ventes publiques ont dispersé tous ses papiers. L’auteur a rassemblé peu à peu un corpus important d’autographes et de photocopies d’où il a pu tirer trois publications inédites (Espagne, Retour des Cendres, Russie). D’autres suivront. Quarante ans d’études émaillées d’échecs et de trouvailles inattendues constituent un véritable roman de l’oeuvre et de la personnalité complexe de ce domestique qui fut un mémorialiste objectif et scrupuleux en même temps qu’un écrivain compulsif. Un travail sur un phénomène historico-littéraire né de la période napoléonienne et de ses suites.

Abstracts

The staff of the Caisse d’amortissement (Depreciation Fund) under the Consulate and Empire

by Jacques-Olivier Boudon

The Caisse d’amortissement (Depreciation Fund) was created immediately after the coup of Brumaire, to promote the restoration of confidence in the country. Initially led by three directors, it inherits one single direction when Mollien takes the head in 1801. He is eventually replaced by Jean Beranger in 1806. Overall there are more than 70 employees who worked for the Fund under the Consulate and the Empire. The study of their origins, geographic, social and professional, reveals a group of individuals that perfectly withstood the trials of the French Revolution. Essentially from the bourgeoisie, they discover within the Fund an institution that provides them with a stable job and a salary which, without being very high, gives them a fixed and permanent income. 42 of them pursue their career in the Caisse des Dépôts (Deposits and Consignments Fund) founded in 1816, usually until their retirement or death. This study of the origins and life of these employees is followed by a dictionary that traces the journey of the 71 employees of the Fund, taken from the various sources available.

Chief-Brigadiers, colonels and naval captains under the Consulate and Empire

by Bernard Quintin

The resumption of the war with England, one year after the signing of the Treaty of Amiens, requires a deep reform of the French military organisation. The main text for the Army is the order of the 1st Vendémiaire year XII (24th September 1803), which replaces the rank of chief-brigadier with that of colonel and the term demi-brigade of infantry by that of regimental.

The 1027 chief-brigadiers and colonels who were listed on active service during the Consulate period fall into 3 categories: 267 of them in principle ceased to serve before the end of the Consulate, 336 continued their careers as colonels under the Empire, 424 were promoted to the rank of general under the Empire and their biographies are included in the dictionary of Georges Six. In this study, only the first two categories are taken into account.

The 77 naval captains who served under the Consulate are briefly reviewed.

« In search of Mameluk Ali » The manuscripts and their publication

by Jacques Jourquin

The discovery, deciphering and the publication of the manuscripts of Ali Mameluk (Louis-Etienne Saint-Denis), companion of Napoleon from 1812 to 1821. A partial version of his memoirs was published in 1926. During the 1970s all his papers were dispersed through a series of public auctions. The author has gradually collected a corpus of important writings and photocopies from which he was able to produce three new publications (Spain, Return of the Ashes, Russia). Others were to follow. Forty years of study interspersed with failures and unexpected findings create a real novel of the work and the complex personality of this servant who was an objective and scrupulous diarist as well as a compulsive writer. A study of this historical-literary phenomenon born of the Napoleonic period and its aftermath.