Revue de l’Institut Napoléon
Numéro 220 (2020-1)
Editorial
L’année 2020 restera marquée par l’apparition de la COID 19, pandémie mondiale partie de Chine avant de se propager sur l’ensemble du globe, provoquant un confinement quasi généralisé et interrompant par là même les activités culturelles et associatives. L’Institut Napoléon n’a pas échappé à la règle et a dû annuler les conférences prévues de mars à mai. Heureusement restent les écrits dont le présent volume de la Revue porte témoignage. Il est encore trop tôt pour tirer un bilan des deux mois de confinement, mais il est fort probable qu’ils nous offrent à terme quelques beaux ouvrages sur la période napoléonienne. Je ne doute pas en effet qu’inspirés par le modèle de Napoléon, confiné à Sainte-Hélène, et dictant ses mémoires à ses compagnons, nombre d’historiens de l’Empire auront su mettre à profit cette période d’isolement. Il nous faut toutefois penser à tous ceux qui ont dû braver la maladie, et encore plus à ceux qui en ont succombé.
La soudaine irruption de l’épidémie vient aussi nous rappeler combien à travers les âges la maladie frappe les humains. Les anciens avaient coutume de dire « A bello, fame et peste, libera nos Domine » (« De la guerre, de la faim et de la peste, protège-nous, Seigneur »), trois fléaux qui périodiquement frappaient les populations. Si la famine délaisse l’Europe au XIXe siècle – encore l’Irlande la connaît-elle à la fin des années 1840 – guerres et épidémies sont monnaies courantes, notamment à l’époque de la Révolution et de l’Empire. La peste est encore aux portes de l’Europe. Elle sévit notamment dans le delta du Nil et en Syrie lorsque les troupes de Bonaparte s’engagent dans la campagne d’Egypte en 1798. Plusieurs milliers de soldats en seront victimes, le célèbre tableau de Gros, Les Pestiférés de Jaffa, venant illustrer cette page sombre de l’expédition en la retournant afin d’en faire un acte à la gloire d’un Napoléon guérisseur, voire thaumaturge. Lui-même n’avait pas respecté en rentrant d’Egypte la quarantaine imposée aux voyageurs de retour d’Orient. En fait, c’est plutôt lors de son passage en Corse qu’il aurait dû y être soumis. Quand il arrive à Fréjus le 16 octobre, il a quitté l’Egypte depuis près de deux mois. L’absence de cas déclaré sur le navire sur lequel il a embarqué avec une partie de ses compagnons l’a sans doute incité à franchir la barrière du lazaret. On peut rappeler à l’inverse qu’en 1816, arrivant de Naples pour épouser le duc de Berry, second fils du comte d’Artois, Marie Caroline de Bourbon-Siciles, dut se soumettre à une quarantaine de quelques jours à Marseille.
Mais si la peste épargne l’Europe, le continent n’évite pas le typhus qui fait des ravages dans les armées, mais aussi parmi les populations civiles. Comme pour la peste, on ignore à l’époque les modes de transmission de la maladie. Pour la peste, c’est une transmission qui passe par le rat et les puces qu’il héberge, avant que ces dernières ne viennent piquer les humains. Pour le typhus, le rat sert aussi de réservoir, la transmission s’effectuant notamment par l’intermédiaire des poux de corps, lesquels peuvent survivre plusieurs heures sur des paillasses par exemple, des matelas ou des couvertures. Les armées en campagne sont une proie facile, comme aussi les colonnes de prisonniers de guerre qui se succèdent dans les mêmes abris, les prisonniers dormant sur les mêmes literies. En 1806, l’opinion publique s’émeut d’une surmortalité qui finit par toucher aussi les populations civiles. La Bourgogne paie un lourd tribut à l’épidémie et doit déplorer entre autres la mort du maire de Dijon et de l’évêque d’Autun. Une commission d’experts est envoyée depuis Paris. Elle est présidée par le docteur Dufriche-Desgenettes qui fut médecin en chef de l’expédition d’Egypte. Leur mission s’effectue dans les départements de l’Yonne, de la Côte d’Or, de la Marne, de la Haute-Marne, de l’Aube et de la Saône-et-Loire. À Sens, sur 774 prisonniers, 165 sont à l’hospice, fiévreux, 87 ont la gale, 8 sont morts. À Semur-en-Auxois, où séjournent 398 prisonniers, seize sont morts de fièvres malignes, contaminant deux médecins et une infirmière, également décédés. Ces morts provoquent un mouvement de panique dans la population. « La terreur s’est emparée des habitants ; elle règne encore », note Desgenettes. En Saône-et-Loire, et plus particulièrement à Autun, la situation est critique. Quinze habitants sont morts, victimes de l’épidémie, dont l’évêque. Partout, Desgenettes recommande d’isoler les malades des autres prisonniers, de changer leur linge et de faire procéder à des fumigations, selon la méthode élaborée par Guyton de Morveau. Il est relayé par les préfets qui prennent eux aussi des initiatives pour développer les structures d’accueil pour les malades, les hôpitaux s’avérant insuffisants pour accueillir tous les prisonniers malades. En 1808, c’est l’arrivée des prisonniers espagnols qui provoquent la panique dans le Sud-Ouest. Mais c’est surtout le reflux des troupes de Napoléon d’Allemagne en 1813-1814 qui provoque des ravages dans l’armée. Comme à toutes les époques, et même lorsque les conditions de la propagation de la maladie sont ignorées, les mesures d’hygiène s’avèrent efficaces pour lutter contre elle.
Jacques-Olivier Boudon
Président de l’Institut Napoléon
Résumés
Un empereur pour l’Europe ? La monarchie de Napoléon et l’intégration du Grand Empire
par Michael Rowe
Le mariage de Napoléon avec Marie Louise en 1810 a forgé une alliance dynastique entre l’Empire français et la monarchie des Habsbourg. Cette alliance n’a pas suscité beaucoup d’intérêt de la part des historiens. Ce n’est pas surprenant, car le match n’a duré que quelques années. Cependant, du point de vue de 1810, le lien avec la première dynastie européenne promettait de renforcer le régime napoléonien. Elle a non seulement promis de produire un héritier masculin qui serait en mesure d’intégrer pleinement la France post-révolutionnaire dans le système des États européens. Le match dynastique avait également le potentiel de stabiliser la domination française dans les nouveaux départements de Belgique, d’Allemagne et d’Italie, où les sentiments pro-Habsbourg demeuraient forts. En fin de compte, cela ne devait pas être le cas : des forces géopolitiques plus larges se sont avérées plus importantes que les liens du sang, et celles-ci ont renversé le régime de Napoléon en 1814.
Un récit d’anticipation publie a l’occasion de la naissance du fils de l’Empereur : Le roi de Rome en 1855, de François Ferlus
par Jacques-Olivier Boudon
Le roi de Rome en 1855 est un récit d’anticipation publié quelques mois après la naissance du fils de Napoléon et de Marie Louise par François Ferlus, directeur du collège de Sorèze. Il est possible qu’il ait été inspiré par un autre récit d’anticipation, considéré comme un des ancêtres de la littérature de science-fiction, le Dernier homme, de Cousin de Grainville, passé inaperçu lors de sa publication en 1805 et réédité avec plus de succès en 1811 par Charles Nodier. Dans Le roi de Rome en 1855, Ferlus imagine que la France et l’Angleterre ont signé la paix, que le roi de Rome a épousé la fille du roi d’Angleterre et que le prince de Galles a épouse une fille de Napoléon. Celui-ci est toujours en vie et domine une Europe française. Il a envoyé son fils à Londres pour l’anniversaire de sa naissance et de son mariage. C’est l’occasion pour Ferlus de faire un bilan très favorable des conquêtes françaises et d’imaginer l’enracinement de la 4e dynastie dans une Europe en paix.
L’artillerie à pied de la Garde à Waterloo
par Alain Martin
Dès son retour sur le trône, Napoléon reconstitue la Garde impériale Avec dix batteries d’artillerie à pied et cinq d’artillerie à cheval, l’artillerie de la Garde représente près d’un tiers de l’ensemble des pièces de l’Armée du Nord. Il doit donc s’agir d’une force de frappe majeure dans l’esprit de l’Empereur.
La participation de ces unités à la dernière bataille de l’Empereur ne semble pas avoir fait l’objet d’une approche systématique. Il est dès lors malaisé d’identifier leur contribution en ce dimanche du 18 juin 1815. Quelle fut leur participation à la grande batterie ? leur engagement face aux Prussiens ? leur support à l’attaque de cavalerie ? La présente étude essaye de retracer les emplacements et les rôles de ces unités.
Napoléon raconté aux enfants : étude des nanuels et de la littérature scolaire sous la IIIe République
par Maxime Carpineta
Les études consacrées à la légende napoléonienne sous ses différentes formes se sont multipliées ces dernières années. Cependant, aucune ne s’est encore penchée sur la légende napoléonienne destinée aux enfants. Notre objectif est de tenter de combler ce trou historiographique en utilisant des manuels scolaires, des livres de lecture et des livres de prix de la IIIe République. Les discours de l’école publique et de sa concurrente l’école privée concernant Napoléon apparaissent alors clairement. En effet, les deux écoles utilisent leurs outils pédagogiques afin de délivrer aux élèves des portraits différents de l’Empereur, qui se concentrent autour de trois thèmes principaux : le chef de guerre, le chef d’État et les conséquences de son règne. Nous proposons ensuite une ouverture vers des ouvrages consacrés à Napoléon entre 1870 et 1940, afin d’observer s’il existe une corrélation entre les écrits scientifiques et ceux destinés à la jeunesse. Les représentations iconographiques de Napoléon dans les livres scolaires sont, elles aussi, étudiées. Marcel Pagnol écrit dans La Gloire de mon père, que « tous les manuels d’histoire du monde n’ont jamais été que des livrets de propagande au service des gouvernements. » Cet article propose de vérifier cette affirmation et, plus encore, de savoir si le personnage de Napoléon est utilisé par les pédagogues dans le but de véhiculer des messages politiques adressés aux électeurs de demain.