Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 210 (2015-1)

Editorial

Les commémorations conjointes, en ce mois de juin 2015, du bicentenaire de la signature du traité de Vienne et de la bataille de Waterloo, viennent rappeler qu’une époque s’est achevée en 1815 avec la seconde abdication de Napoléon et son exil à Sainte-Hélène. Un ordre nouveau s’établit, « l’ordre de Vienne », partiellement fondé sur le principe de la restauration des monarchies traditionnelles, mais surtout construit sur l’idée d’un équilibre des puissances en Europe, équilibre que le renforcement d’Etats secondaires, du Royaume de Piémont-Sardaigne au Royaume des Pays-Bas, en passant par le Royaume de Bavière, allait contribuer à consolider. Mettant en avant le cas de la Pologne, dont le sort est scellé par les premiers articles du traité du 9 juin, les négociateurs européens se sont aussi attachés à redessiner avec précision les contours d’une Allemagne désormais encadrée au sein de la Confédération germanique, ou ceux des différents Etats italiens. L’Angleterre pourrait paraître absente de cette nouvelle répartition des territoires du continent européen, même si le Hanovre, propriété du souverain anglais, est sorti grandi de l’opération, et même si les Anglais conservent plusieurs îles, Héligoland, Malte, les îles ioniennes notamment. Ils ont surtout obtenu que soit reconnue la liberté de commerce sur les fleuves comme sur les mers et ont pesé de tout leur poids pour qu’une déclaration en faveur de l’abolition de la traite des esclaves noirs d’Afrique soit adoptée par les puissances européennes réunies à Vienne, ce que plusieurs firent in fine, mais sans enthousiasme. C’est le cas de la France qui adhère au projet abolitionniste en novembre 1815, prolongeant ainsi l’initiative prise par Napoléon lorsqu’il avait décidé l’abolition de la traite le 28 mars précédent. Pour l’Angleterre, qui avait procédé à cette interdiction dès 1807, à des fins incontestablement humanitaires, il ne pouvait être question que se poursuive un commerce triangulaire qui mettrait en péril l’équilibre économique qu’elle avait établi dans ses colonies. L’urgence est d’autant plus grande pour elle que le retour de la paix signifie le rétablissement de la liberté du commerce maritime, y compris celui des esclaves. Les préoccupations économiques ne sont donc pas absentes d’une campagne abolitionniste qui n’envisage pas alors la fin de l’esclavage, lequel demeure le pilier de l’économie coloniale. Pourtant, si la question de la traite fait l’objet de débats à Vienne, on s’y préoccupe peu des questions coloniales, finalement rejetées aux divers traités bilatéraux qui ont fleuri alors. Le bilan de vingt années de guerre montre cependant que le rapport de forces existant à la veille de la Révolution française dans le monde colonial s’est considérablement modifié. Sur le papier,  le Portugal et l’Espagne retrouvent leurs empires, encore l’Espagne doit-elle constater que la Louisiane lui a échappé définitivement, vendue par la France aux Etats-Unis en 1803, alors qu’elle aurait pu espérer la récupérer et consolider ainsi son emprise en Amérique du nord. Côté français, le traité de Paris avalise la perte de Sainte-Lucie et Tobago dans les Caraïbes, mais aussi celle de l’île de France (Maurice) dans l’Océan indien. Mais surtout la France  ne recouvre pas l’île de Saint-Domingue, perdue en 1804, avec le soutien anglais, même si la monarchie restaurée n’abandonne pas immédiatement ses prétentions sur cette île qui fut avant la Révolution la perle de l’empire français. En revanche la France a conservé la Guadeloupe, un temps promis à la Suède. L’empire colonial hollandais s’est également rétréci au profit de la Grande-Bretagne qui outre le Cap et Ceylan, s’empare de territoires hollandais sur la côte occidentale de la péninsule indienne, à commencer par le port de Cochin.  Il faut ajouter l’attention portée par la Grande-Bretagne à la question d’Orient, car si l’empire ottoman n’est pas représenté à Vienne, son sort futur est dans tous les esprits, et Londres veut éviter que cette région ne bascule dans le giron russe, d’où une politique visant à contenir la poussée russe vers le sud, ce qui passe aussi par un traité signé avec la Perse. Plus que jamais, la Grande-Bretagne veut protéger l’Inde des incursions étrangères, notamment russes. Ainsi, pendant que la Russie, la Prusse et l’Autriche signent le traité de la Sainte-Alliance,  l’Angleterre se préoccupe de ce qui est pour elle l’essentiel, assurer son hégémonie sur les mers, renforcer son empire et imposer partout sa domination commerciale. Cela la conduira notamment à laisser se développer les indépendances des colonies hispaniques d’Amérique du Sud, processus qui prolonge son entrée en force sur ces marchés à l’occasion de la rupture entre ces colonies et leur métropole en 1808. A ce titre, on peut bien parler de Pax britannica, car si le traité de Vienne instaure un ordre relatif en Europe, il a aussi rendu possible le renforcement de la puissance britannique qui s’affirme au XIXe siècle comme la première puissance mondiale. C’est pourquoi aussi la bataille de Waterloo revêt tant d’importance pour les Anglais. Bien que les forces anglaises aient été numériquement minoritaires au sein des armées victorieuses de Napoléon, la bataille en est venue à symboliser la victoire anglaise précisément parce qu’elle annonçait cette formidable ascension de la Grande-Bretagne au lendemain de la chute de l’empereur.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

L’île d’Elbe sous l’Empire

par Jacques-Olivier Boudon

Partagée entre Naples et la Toscane, l’île d’Elbe, un temps occupée par les Anglais, devient française en 1802 et vit dès lors au gré des lois françaises, tandis qu’une présence militaire s’y observe, avec notamment la venue sur l’île du général Hugo, accompagné du jeune Victor. On examinera les différentes facettes de cette île que Napoléon devait gouverner pendant neuf mois.

L’île d’Elbe : Napoléon en sursis ?

par Marie-Hélène Baylac

Napoléon doit le choix de l’île d’Elbe pour lieu d’exil à la fermeté de Caulaincourt et à la loyauté d’Alexandre Ier qui ne revient pas sur sa promesse malgré les réticences de ses alliés. L’important est d’éloigner l’Empereur avant le retour de Louis XVIII ! Les intrigues de Talleyrand dans les couloirs du congrès de Vienne, le refus du gouvernement français de verser la rente prévue par le traité de Fontainebleau, ses projets de faire enlever, voire assassiner Napoléon… sont autant d’éléments qui laissent penser que l’île d’Elbe n’est qu’une solution d’attente. Mais l’exilé n’attendra pas : reprenant la main, il organise dans le secret son retour en France : le 1er mars 1815, il débarque dans le golfe Juan, prenant de court ses adversaires.

Portoferrajo, nid d’espions

par Pierre Branda

Empêché de communiquer librement et de commercer, Napoléon fut aussi espionné par toutes les puissances environnantes. La France entretenait ainsi plusieurs agences de contre-espionnage à Portoferraio qui étaient parfois concurrentes entre elles. Certaines furent néanmoins très efficaces. En réaction, Napoléon développa avec maestria son propre contre-espionnage. L’enjeu n’était pas mineur : le renseignement pouvait le compromettre et mettre un terme à son séjour elbois.

Les combats du samedi 1er juillet 1815 : Vélizy-Villacoublay, Rocquencourt et Le Chesnay

par Alain Chappet et Bernard Quintin

Le 22 juin 1815, soit quatre jours après la défaite de Waterloo, l’empereur Napoléon abdique au Palais de l’Élysée. Les Alliés sont aux portes de Paris sans rencontrer de résistance sérieuse. Les Prussiens sont à Argenteuil, Bezons, Chatou, s’emparent du pont du Pecq, occupent Saint-Germain-en-Laye. Des reconnaissances sont envoyées sur Rueil, Ville-d’Avray. Le samedi premier juillet se déroule dans le secteur de Versailles à Vélizy-Villacoublay, Rocquencourt et Le Chesnay, un engagement qui oppose deux régiments de hussards prussiens aux cavaliers d’Exelmans et de Piré, appuyés par un régiment d’infanterie. Il s’agit ici d’un des derniers coups de sabre de l’épopée napoléonienne. Alain Chappet  et Bernard Quintin  nous présentent l’historique des combats et dressent la liste des pertes. La source essentielle de l’enquête est constituée par les contrôles nominatifs « officiers » et « hommes de troupe » des dix régiments de l’armée française présents à ces combats, conservés au Service historique de la Défense. Ce sont les derniers soldats à crier : Vive l’Empereur.

Quelques remarques sur le masque mortuaire Gilley 2

par Gérard Lucotte

L’étude de la composition minéralogique et chimique du masque mortuaire de Napoléon nommé Gilley 2 a montré qu’elle était en tout point semblable à celle du masque Gilley 1 précédemment publiée. Ces deux masques sont de plâtre de Paris, le plâtre préféré des sculpteurs ; or on sait que ce type de plâtre n’était pas disponible à Sainte-Hélène lors de la mort de l’Empereur. L’étude de la composition d’un échantillon de  »gypse » en provenance de Prosperous Valley à Sainte-Hélène a établi qu’il était composé, en parties approximativement égales, de gypse, de l’alumino-silicate caractéristique du sol de l’île et de phosphate. Le masque Gilley 1 n’a donc pas été réalisé à Sainte-Hélène au moment de la mort de Napoléon.

Abstracts 

Some remarks about the Gilley 2 death mask

by Gerard Lucotte

The mineralogial and chemical composition of the Napoleon death’ mask named Gilley 2 is completely similar to that of the Gilley 1 mask, already published. Both masks are constituted of Paris plaster, the favorite material used by sculptors; but we know that such a material was not available in St Helena at the moment of the Emperor death. The composition of a  »gypsum » sample originating from Prosperous Valley in St Helena shows that it is composed, in an approximatively three equal parts, of gypsum, of an alumino-silicate characteristic of the island ground, and of phosphate. Consequently, the Gilley 1 mask was not realized in St helena at the time of the Napoleon death.