Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 206 (2013-1)

Editorial

L’histoire n’est pas une science appelée à demeurer dans un splendide isolement. De tout temps, et plus encore depuis l’appel lancé par Marc Bloch et Lucien Febvre lorsqu’ils lancèrent les Annales en 1929, l’histoire a été conduite à dialoguer avec les disciplines voisines que sont la géographie, l’anthropologie, la sociologie ou l’ethnologie. Les sciences dures ont été également mises à contribution dans le domaine de la paléontologie ou de l’archéologie, permettant de mieux connaître les origines de l’humanité. La génétique permet aujourd’hui de percer certains mystères qui taraudaient les historiens depuis des décennies. Le mystère de la naissance des grands hommes fait en effet partie de ceux qui ont le plus alimenté la chronique, aux marges de la petite et de la grande histoire. La question est plus importante qu’il n’y paraît car elle touche au mythe des origines. On sait combien Napoléon Bonaparte, issu d’une famille de notables corse venue d’Italie, y était sensible, au point de favoriser une recherche en généalogie destinée à enraciner sa famille dans une tradition nobiliaire ancienne. Il ne pouvait non plus ignorer les rumeurs autour de l’identité de son père et a en fait état, notamment devant Monge. Cette question a fait couler beaucoup d’encre jusqu’à attribuer à Napoléon des origines bretonnes. La question des origines paternelles de Napoléon III s’est également posée avec une vive acuité, obligeant chaque biographe du second empereur à avancer ses propres hypothèses pour déterminer si Louis était bel et bien le père du futur empereur.

La génétique paraît avoir tranché, au moins partiellement pour l’heure, la question. Les recherches conduites par le professeur Lucotte, généticien, directeur de l’Institut d’Anthropologie moléculaire, dont nous publions par ailleurs un article dans ce numéro de la Revue sur un masque mortuaire de Napoléon, établissent clairement que Napoléon est très vraisemblablement le fils de Charles Bonaparte. En tout cas, il a le même père que son plus jeune frère Jérôme, né quinze ans après lui, ce qui plaide pour une paternité identique. En revanche, les recherches conduites à partir de l’ADN de Napoléon III démontrent qu’il n’avait pas la même ascendance paternelle que Napoléon. Deux hypothèses peuvent, à ce stade des recherches, être avancées. Soit Louis n’est pas le fils de Charles Bonaparte, ce qui est une hypothèse régulièrement avancée par les historiens, soit Louis-Napoléon n’est pas le fils de Louis, ce qui n’exclut du reste pas que Louis ne soit pas le fils de Charles.

Ces découvertes ne remettent évidemment pas en cause les événements tels qu’ils se sont déroulés, mais ils peuvent permettre de comprendre la psychologie des deux empereurs. Napoléon pensait que sa mère à laquelle il vouait une intense dévotion n’avait pas été toujours été fidèle à son mari, ce qui explique sans doute le relatif dédain avec lequel il prend en considération son père, mais accrédite aussi à ses yeux un peu plus l’idée qu’il s’est fait lui-même, qu’il est le propre artisan de sa gloire. Quant à Napoléon III, même s’il n’est pas biologiquement le neveu de Napoléon, il a été élevé comme tel. Il a naturellement joué de sa parenté avec l’empereur pour parvenir au pouvoir, en se faisant élire président de la République en 1848, puis en organisant le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Il n’a eu du reste ensuite de cesse de développer une politique visant à enraciner une quatrième dynastie en France. Mais dans le même temps, les rumeurs planant sur ses origines l’ont peut-être conduit aussi à prendre progressivement ses distances avec le premier empire, pour affirmer que lui aussi s’était fait lui-même et qu’il tenait son pouvoir du peuple, non de la parenté avec le premier empereur. Plus son pouvoir s’affirme, plus la référence à Napoléon s’éloigne. La naissance d’un fils en 1856 accélère cette recherche d’autonomie. Elle scelle en outre les derniers espoirs du roi Jérôme, dernier frère de Napoléon, de voir son fils monter un jour sur le trône, lui-même ayant nourri le vague espoir en 1848 de pouvoir être le prétendant du parti de l’empereur dont il était alors le dernier frère en vie. Le paradoxe veut que la mort du prince impérial, sans héritier, ait conduit naturellement au transfert des espoirs dynastiques sur les héritiers de Jérôme, qui retrouvaient ainsi leur place naturelle dans l’ordre de succession.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

« La réunion des esprits » Jean Pierre Saurine, évêque constitutionnel et évêque concordataire

par Claude Muller

Parmi les fidèles de l’Empereur dans l’épiscopat français figure, en bonne place, Mgr Jean Pierre Saurine, évêque concordataire de Strasbourg de 1802 à 1813. Sa biographie ne manque pas d’originalité : méridional bouillant, prêtre sans exercer le ministère, mais avocat jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, partisan de la Révolution sans pour autant voter la mort du roi, évêque enfin à près de 70 ans sur la même ligne politique que Napoléon Ier, à savoir « l’oubli du passé » et par conséquent véritable préfet violet. Trois qualificatifs peuvent le définir : ingérable, mais indispensable, donc intouchable.

Le Conseil d’État du duché de Varsovie à l’époque de Napoléon[1]

par Marek Krzymkowski

La création du duché de Varsovie en 1807 s’appuya sur la rédaction d’une constitution calquée sur le modèle français. Elle instituait notamment un Conseil d’Etat dont le rôle s’est avéré particulièrement important dans un pays dont le souverain, à savoir le roi de Saxe, n’est que rarement présent. En son absence, la présidence du Conseil revient à un haut personnage de l’Etat qui assume aussi la présidence du conseil des ministres. A l’origine en effet le Conseil d’Etat est composé des seuls ministres, soit six membres. A partir d’août 1808, six conseillers sont nommés ; leur nombre passe à douze en 1809 après l’extension du duché. L’autonomie du Conseil se renforce alors d’autant mieux que les ministres sont moins présents que les simples conseillers. Le travail se diversifiant, le Conseil accueille aussi des maîtres des requêtes, mais pas d’auditeurs. En 1810, sont créées les sections. Enfin la particularité du Conseil polonais est de se transformer en cour de Cassation. Il dispose ainsi d’importantes prérogatives, en matière de préparation des lois, de contentieux et de jugement. A certains moments, notamment lors de la guerre de 1809, il se vit confier la réalité du pouvoir, cas exceptionnels dans l’Europe napoléonienne.

Étude de la composition minéralogique et chimique du masque mortuaire Gilley1 de Napoléon Ier

par Gérard Lucotte

Institut d’Anthropologie moléculaire, Paris

L’objectif de ce travail est l’étude minéralogique du masque Gilley1, masque mortuaire en plâtre de Napoléon actuellement exposé à la Maison Bonaparte à Ajaccio. Sa composition est celle de plâtre de Paris typique, avec des traces de sulfate de strontium. L’examen d’un grand nombre de particules de ce plâtre a montré que seulement trois d’entre elles (déposées à la surface du masque) sont composées d’un alumino-silicate riche en fer et en titane, signature minéralogique caractéristique des laves de l’île de Sainte-Hélène ; ceci montre que ce masque a séjourné sur l’île à un moment de son périple.

Complément et supplément à la Bibliographie critique des mémoires sur l’époque napoléonienne écrits ou traduits en français de Jean Tulard et Jacques Garnier :

Mémorialistes de l’espace belge et luxembourgeois

par Cédric Istasse

« Nulle époque n’a suscité la publication d’un nombre aussi élevé de mémoires que le Consulat et l’Empire », écrit Jean Tulard en ouverture de sa célèbre Bibliographie critique des mémoires sur l’époque napoléonienne écrits ou traduits en français. Paru pour la première fois en 1971, cet imposant répertoire commenté s’est rapidement imposé comme un outil de travail fondamental auprès des historiens spécialistes des années 1799-1815. En effet, il leur a grandement facilité l’accès à une source souvent incontournable pour leurs études, mais dont jusqu’alors l’abondance constituait parfois un obstacle. D’autres mémoires étant sans cesse mis à jour, Jean Tulard a publié une nouvelle édition de sa Bibliographie en 1991, à laquelle Jacques Garnier a adjoint un Complément et supplément cinq ans plus tard. Le présent article constitue une modeste continuation de ce travail. Sa particularité est de porter principalement sur des témoignages émanant de militaires originaires des neuf « départements belgiques réunis ».

Abstracts

 » The meeting of the spirits  » Jean Pierre Saurine, constitutional and Concordat bishop

by Claude Muller

Among the faithful followers of the Emperor in the French episcopate stands, at the right place, Mgr. Jean Pierre Saurine, Concordat bishop of Strasbourg from 1802 till 1813. His biography does not miss originality: hot tempered Southerner, priest without exercising the ministry, but lawyer till the end of the Ancien Régime, supporter of the Revolution without voting for the death of king, bishop at nearly 70 years on the same political line as Napoleon Ier, worth knowing  » the oversight of past  » and consequently a genuine purple prefect. Three qualifiers can define him: uncontrolled, but essential, thus untouchable.

The Council of State of the duchy of Warsaw at the time of Napoleon[2]

by Marek Krzymkowski

The creation of the duchy of Warsaw in 1807 leaned on the writing of a constitution traced on the French model. It established in particular a Council of State the role of which has proved particularly mattering in a country the sovereign of which, namely king of Saxony, is only rarely present. In its absence, the presidency of the Council returns to a high-ranking person of the State who also assumes the presidency of the Council of Ministers. Originally indeed the Council of State consists of only Secretaries, that is six members. From August, 1808, six councillors are appointed; their number pass in twelve in 1809 after the extension of the duchy. The autonomy of the Council strengthens then all the better since the Secretaries are less present than the simple councillors. The work diversifying, the Council also welcomes counsels of the Conseil d’État, but no auditors. In 1810 are created sections. Finally the peculiarity of the Polish Council is to be transformed into Highest Court of Appeal. It so arranges important privileges, regarding the preparation of laws, the dispute and the sentence. At times, in particular during the war of 1809, he lives to entrust the reality of the power, as in some other exceptional cases in napoleonic Europe.

Study of the mineralogical and chemical composition of Napoleon Ier’s death mask Gilley1

by Gérard Lucotte

Institute of molecular Anthropology, Paris

The objective of the present study is the determination of the chemical and mineralogical compositions of the mask Gilley1. This death mask of Napoleon is actually exposed in the Maison Bonaparte in Ajaccio. The comosition of this mask is that, typical, of the parisian plastes, with strontium sulfate traces. It contains – deposited on the surface – only three plastes’particles of an alumino-silicate rich of iron and titanium, the peculiar mineralogical signature of the lavas in the Ste helen Island ; that establishs that this mask had transited to the island during his history.

Complement and supplement to the Critical bibliography of memoirs on the napoleonic time written or translated into French

by Jean Tulard and Jacques Garnier:

Memorialists of the Belgian and Luxemburg area

by Cédric Istasse

No period of time aroused the publication of a number so high of memoirs that the Consulate and the Empire « , writes Jean Tulard at the opening of his famous Critical bibliography of the memoirs on the napoleonic time written or translated into French. Published for the first time in 1971, this impressive commented directory quickly stood out as a tool of fundamental work for the historians specialists of the years 1799-1815. Indeed, it largely facilitated them the access to an often major source for their studies, but the abundance of which, until then, sometimes constituted an obstacle. Other memoirs being ceaselessly updated, Jean Tulard published a new edition of his Bibliography in 1991, to which Jacques Garnier added a complement and a supplement five years later. The present article constitutes a modest continuation of this work. Its peculiarity is to concern mainly testimonies emanating from native servicemen coming from the nine  » Belgian departments combined « .

[1] Article traduit du polonais par Małgorzata Bielska.

[2] Translated from the Polish by Malgorzata Bielska.