Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 205 (2012-2)

Editorial

Il ne se passe pas une semaine sans que l’on ne voit apparaître sur les tales des libraires ou sur les sites spécialisés en ligne, une publication de mémoires relatifs à l’époque napoléonienne. La proportion des mémoires qui paraissent sur l’Empire est sans commune mesure avec les textes publiés sur d’autres périodes. C’est incontestablement l’un des indices de l’intérêt toujours vivant pour l’épopée napoléonienne. Cet intérêt est encore ravivé par la lecture des mémoires des contemporains, car ceux-ci permettent d’entrer de plain-pied dans l’époque, de sentir la poudre sur le champ de bataille, d’entendre le bruit du canon, de suivre le combattant au bivouac, de partager aussi la vie des notables, comme des plus humbles  car certains ont écrit  restés en arrière des combats. Dans un bel ouvrage, récemment publié, Ecrire la mémoire, Natalie Petiteau s’est interrogé sur la manière dont ses mémoires étaient construits, à quel moment et par qui ils avaient été écrits. Elle montre combien ces ouvrages ont participé à la construction du mythe napoléonien, thème central du numéro 205 de la Revue de l’Institut Napoléon.

L’Institut Napoléon ne peut que se réjouir de cet intérêt constant, sinon renouvelé, pour les mémoires de l’Empire. Chacun se souvient du rôle décisif joué par Jean Tulard dans l’inventaire et la présentation de ces mémoires, de la contribution qu’a apportée également Jacques Garnier, dans les colonnes mêmes de la Revue (N° 1996), à cette grande œuvre d’identification. Ce travail devra être complété et la Revue s’y emploiera dans ses prochains numéros.

Mais il est aussi important de bien distinguer entre deux types d’entreprises, dans le domaine de l’édition des mémoires. Autant il est important d’encourager l’édition de témoignages inédits ou la réédition de souvenirs faisant l’objet d’une nouvelle présentation et de nouveaux commentaires  les éditions de Jacques Jourquin chez Tallandier peuvent servir de modèle , autant il est anormal que certaines maisons d’éditions inondent le marché avec des reproductions à l’identique qui n’offrent la plupart du temps aucun élément nouveau par rapport à l’édition d’origine. Qui plus est, dans la plupart de cas, l’édition d’origine est accessible en ligne gratuitement. Certes, et les éditeurs en question l’ont compris, il est plus agréable de disposer d’une version papier des mémoires que l’on souhaite lire. Mais les ouvrages ainsi proposés au public, avec comme seul élément neuf, une couverture bien choisie, sont proposés au détriment d’autres ouvrages, plus originaux, ainsi privés de visibilité.

Cet éditorial est donc un appel lancé à la communauté des chercheurs et des éditeurs intéressés par l’époque napoléonienne pour que la publication à venir de mémoires donne lieu à un véritable effort d’édition qui s’appuie sur une relecture des manuscrits, quand ils existent encore, sur un appareil critique composé avec les méthodes modernes, et précédé d’une introduction qui permette de replacer le témoignage proposé dans son contexte, en l’enrichissant des résultats des recherches les plus récentes sur l’Empire. L’Institut Napoléon s’y emploie de son côté, grâce à sa revue, mais aussi à sa collection qui a accueilli plusieurs témoignages inédits ou non encore traduits et renforcera son ouverture dans ce domaine. Il espère servir d’aiguillon en la matière et ainsi participer à la redécouverte et à la relecture des mémoires des acteurs de l’histoire du Consulat et de l’Empire.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Un lieu de mémoire de l’Epopée napoléonienne : la Route Napoléon

par Florian Hurard

1815-2015 : deux siècles se seront bientôt écoulés depuis le Vol de l’Aigle. Et pourtant, le débarquement de la troupe impériale dans le Golfe-Juan, la périlleuse traversée des Alpes, la rencontre de Laffrey, l’entrée dans Grenoble, façonnent encore la fierté et l’identité locales. Les traces laissées par le passage de Napoléon, entretenues et enjolivées au cours du XIXe siècle, favorisèrent l’émergence d’une nouvelle série de lieux de mémoire disséminés à travers les Alpes. La révolution des transports, entamée durant la deuxième moitié du XIXe siècle, offrit aux localités concernées l’opportunité de transformer cet héritage commun en véritable atout économique. Le pèlerin laissa alors la place au touriste. Fort de ce constat, et profitant de l’essor de l’économie touristique après la Première Guerre mondiale, les syndicats d’initiative des Alpes-Maritimes, des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes, et de l’Isère obtinrent, en 1932, la consécration officielle de la Route Napoléon.

Le Mythe de Napoléon dans la poésie française (1815-1848)

par Anne Boquel-Kern

Après sa chute, Napoléon va rapidement devenir une des sources d’inspiration majeures des poètes de la première moitié du XIXe siècle, qui lui consacrent un nombre de poèmes considérable. Qu’il s’agisse des grands noms de l’époque ou de versificateurs inconnus, tous apportent leur contribution à la constitution d’un véritable mythe littéraire. D’où la possibilité d’en décrire les différentes étapes.

Peu à peu, la représentation poétique de l’Empereur va se dégager de la gangue néo-classique dans laquelle l’avaient enfermée les poètes de l’Empire. Le mythe de Prométhée succède au mythe de l’Ogre à partir de 1821 ; un Napoléon héroïque et sombre émerge alors des images indéfectiblement liées à l’exil de Sainte-Hélène. Le martyr se transforme en sauveur du peuple à l’aube de 1830 ; la décennie qui suit achève de christianiser l’Empereur qui devient en 1840 l’objet d’un véritable culte poétique. Entré dans l’histoire, le mythe connaît un nouveau tournant en 1848, lorsqu’il est utilisé dans une perspective politique par Louis-Napoléon Bonaparte et ses opposants.

Mythe héroïque, le mythe de Napoléon est aussi et surtout un mythe romantique, car il est le support, pour les poètes, d’une triple réflexion sur l’histoire, l’individu, et la poésie.

Le mythe napoléonien dans l’œuvre de Dimitri Merejkovski

par Maria Mnatsakanova

Dimitri Merejkovski (1865-1941), écrivain, philosophe, historien et un des représentants du symbolisme russe, courant littéraire au tournant des siècles, ne dissimula jamais son intérêt pour l’époque napoléonienne. L’image de Napoléon resta toujours présente dans son œuvre à partir des années 1890 lorsque son essai consacré à Tolstoï et à Dostoïevski fut publié. Dans ce livre, Merejkovski met en question la perception tolstoïenne de l’histoire et critique l’image de Napoléon créée par Tolstoï car à son avis il était inadmissible de montrer les grands personnages comme des marionnettes. Selon lui, Napoléon dans Guerre et Paix rappelle plutôt une caricature que l’Empereur des Français réel. En s’appuyant sur les ouvrages des historiens contemporains, Merejkovski essaie d’analyser l’époque du Premier Empire pour écrire dans les années 1930 sa Vie de Napoléon – résultat des

Le centenaire de la mort de Napoléon en 1921

par Emile Kern

La commémoration du 5 mai 1921 est la première grande cérémonie en l’honneur de Napoléon réalisée par l’État français depuis le retour des cendres, en 1840. Ce centenaire se déroule dans le  contexte  de l’après-guerre c’est-à-dire à un moment où la République ne se sent plus menacée par les bonapartistes après sa victoire contre l’Allemagne. Elle décide donc d’honorer Napoléon et même de l’associer aux morts de la Grande Guerre. Parmi les nombreuses manifestations organisées, outre le Congrès historique qui se tient à l’Hôtel des Sociétés savantes du 30 avril au 3 mai, et les nombreuses expositions organisées à Paris dans les principaux lieux de mémoire, il faut retenir la cérémonie à la cathédrale Notre-Dame-de-Paris et les discours de Louis Barthou sous l’Arc de Triomphe et celui du maréchal Foch aux Invalides. Sauf L’Humanité et L’Action française, toute la presse française rend hommage à Napoléon. La victoire de la France républicaine face à l’Allemagne fait oublier momentanément que Napoléon mit fin à la république pour mettre en avant celui qui, en écrasant la Prusse en 1806, a montré la voie aux poilus durant la Première Guerre mondiale.

Le mythe de Napoléon à l’heure du bicentenaire du Consulat et de l’Empire

par Jacques-Olivier Boudon

Malgré le silence relatif des autorités officielles à commémorer le bicentenaire des années du Consulat et de l’Empire, le souvenir de Napoléon reste très présent, non seulement au coeur de la société française, mais aussi dans de très nombreux pays à travers le monde. Très prisé des publicitaires, thème inlassablement repris par les hommes de spectacle, au théâtre, au cinéma comme à la télévision, Napoléon habite notre univers mental, même de façon inconsciente. Le mythe du grand homme, de l’homme providentiel, du sauveur continue à fonctionner, même si Napoléon est rarement invoqué en politique ; la République continue à se méfier de l’Empire. Mais le plus étonnant est sans doute le regard porté par les étrangers sur un personnage et une époque qui leur apparaît à bien des égards fondateurs. Napoléon est un nom, sinon une marque, connu universellement et qui n’est pas prêt de s’effacer.

Abstracts

A memorial of the Napoleonic epic: The Route Napoleon

by Florian Hurard

1815-2015: two centuries will soon be gone since the Flight of the Eagle. And yet, the landing of the imperial troops in Golfe-Juan, the perilous crossing of the Alps, the encounter with Laffrey and entering Grenoble, still shape local pride and identity. The traces left by the passage of Napoleon, maintained and embellished during the nineteenth century, favoured the emergence of a new series of memorial sites scattered throughout the Alps. The transportation revolution that began in the second half of the nineteenth century, offered the localities concerned the opportunity to transform this common heritage into a veritable economic asset. The pilgrim gave way to the tourist. With this in mind, and taking advantage of the growth of the tourist industry after the First World War, the tourist offices of the Alpes-Maritimes, Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes and Isère obtained the formal inauguration of the Route Napoleon in 1932.

The Myth of Napoleon in French poetry (1815-1848)

by Anne-Boquel Kern

After his fall, Napoleon was quickly to become one of the major sources of inspiration for poets of the early nineteenth century, who devoted a considerable number of poems to him. Whether it’s the big names of the period or unknown bards, all added their contribution to the creation of a true literary myth. Here we have the opportunity to depict the different stages of this poetic evolution.

Gradually, the poetic representation of the Emperor will emerge from the neo-classical matrix in which he had been imprisoned by the poets of the Empire. From 1821 onwards the myth of Prometheus succeeds that of the Ogre; a dark and heroic Napoleon emerges from the images inextricably linked to his exile in St. Helena. At the dawn of 1830 the martyr becomes a saviour of the people; the following decade draws to a close with the Christianisation of the Emperor, who in 1840 became the subject of a true poetic worship. The myth, well anchored in history, takes a new turn in 1848 when used in a political perspective by Louis-Napoleon Bonaparte and his opponents.

Heroic myth, the myth of Napoleon is first and foremost a romantic myth; it allows poets to ponder a triple reflection, on history, the individual, and poetry.

The Napoleonic myth in the works of Dimitri Merejkovski

by Maria Mnatsakanova

Dimitri Merejkovski (1865-1941), writer, philosopher, historian and one of the representatives of Russian symbolism, literary figure at the turn of the century, never hid his interest in the Napoleonic era. The image of Napoleon was always to be present in his work from the 1890’s with the publication of his essay on Tolstoy and Dostoevsky. In this book, Merejkovski challenges the Tolstoyan perception of history and criticizes the image of Napoleon created by Tolstoy, because in his opinion it was inadmissible to portray great figures as puppets. According to him, the Napoleon in War and Peace resembled more a caricature rather than the real French Emperor. Based on the works of contemporary historians, Merejkovski tries to analyse the period of the First Empire and write, in 1930, his Life of Napoleon – the result of the author’s reflections on the destinies of man, of France and Europe.

The centenary of the death of Napoleon in 1921

by Emile Kern 

The commemoration of the 5th May 1921 is the first major ceremony held in honour of Napoleon carried out by the French government since the return of his ashes in 1840. This centenary takes place in the post-war context, which is to say at a time when the Republic no longer feels threatened by the Bonapartist movement after its victory against Germany. France decided to honour Napoleon and even associate the emperor with the dead of the Great War. Among the many events organised, in addition to that of the historic congress held at Hôtel des Sociétés Savantes from 30th April to 3rd May, and the many exhibitions held in Paris in the main places of commemoration, it is important to recall the ceremony held at Notre Dame de Paris and the speeches given by Barthou under the Arc de Triomphe and the Marshal Foch at the Invalides. All the French press paid tribute to Napoleon, except L’Humanité and l’Action Française. The victory of Republican France against Germany momentarily allowed the country to overlook the fact that Napoleon had put an end to the republic, replacing it by an emperor, who, having crushed Prussia in 1806, showed the way for Poilus during the First World War.

The myth of Napoleon at the time of the bicentenary of the Consulate and the Empire

by Jacques-Olivier Boudon

Despite the relative silence of the official authorities to commemorate the bicentennial year of the Consulate and the Empire, the memory of Napoleon is still very present, not only at the heart of French society, but also in many countries around the world. A popular theme tirelessly used by advertising, showmen, theatre as well as on television and in cinema.  Napoleon lives on in our mental universe, even unconsciously. The myth of the great man, the providential man, the redeemer, continues to operate, even if Napoleon is rarely invoked in politics, the Republic continues to be wary of the Empire. But without doubt, most surprising is the way in which he and his era are regarded by foreigners as founders. Napoleon is a universal name, if not a brand, that is not likely to fade away.