Revue de l’Institut Napoléon

Numéro 200 (2010-1)

Editorial

Je suis heureux d’introduire aujourd’hui le numéro 200 de la Revue de l’Institut Napoléon. C’est un chiffre symbolique qui mérite que l’on s’y arrête. Il invite surtout à se retourner sur les 199 numéros qui l’ont précédé. C’est en 1938 que Philippe Sagnac, alors président de l’Institut Napoléon, signait le premier éditorial de la Revue. L’Institut avait été fondé six ans plus tôt par Edouard Driault qui dirigeait alors la Revue des Etudes napoléoniennes. Celle-ci avait donc logiquement servi de lieu d’accueil aux travaux consacrés à la période napoléonienne tandis que l’Institut se contentait d’éditer un bulletin de liaison. Philippe Sagnac, qui a succédé à Edouard Driault en 1935 à la tête de l’Institut Napoléon, lance une nouvelle revue qui se donne pour programme de rendre compte de l’actualité de la recherche sur l’époque napoléonienne en France et dans le monde. Il dresse dans son premier éditorial un bilan historiographique des travaux menés sur Napoléon depuis les années 1890, marquant une différence nette entre les premiers historiens de l’Empire parmi lesquels Thiers, et les historiens positivistes qui émergent à la fin du XIXe siècle, à l’instar d’Albert Sorel, Albert Vandal, Henry Houssaye, Frédéric Masson, Lacour-Gayet, ou encore Georges Pariset, André Fugier, Jacques Godechot ou André Latreille. Sagnac est sans exclusive quand il cite parmi les historiens récents de Napoléon aussi bien Louis Madelin  que Georges Lefebvre dont il n’oublie pas qu’il lui a commandé un Napoléon pour la collection Peuples et Civilisations et que Lefebvre lui a succédé à la Sorbonne.

Mais Philippe Sagnac développe aussi un programme de recherches en insistant sur les domaines encore à défricher, évoquant notamment l’histoire intérieure de la France napoléonienne – il appelle de ses voeux un tableau de la France en 1800 -, et en particulier l’économie. Trois quarts de siècle plus tard, et malgré les études de François Crouzet ou Louis Bergeron, le constat est sur ce point toujours d’actualité. Il nous manque toujours aussi une grande étude sur les campagnes françaises et l’économie rurale. De même Sagnac invitait à une étude des répercussions de la Révolution par région, à partir de l’analyse des études notariales. Le travail a été partiellement conduit sur les transferts de propriétés liés aux mutations consécutives aux ventes des biens nationaux, mais les effets liés à l’application du Code civil en matière d’héritage sont encore à mesurer. Sagnac reconnaît que l’histoire militaire de l’Empire a largement bénéficié des recherches menées au sein de l’Etat-major, mais en appelle à un effort de synthèse en la matière. Aujourd’hui, la perspective s’est modifiée, les recherches sur l’Empire s’intégrant dans le cadre de War studies qui font une large place aux interactions entre le fait militaire, la société, l’économie ou les relations internationales. Mais cette nouvelle histoire militaire doit aussi s’attacher à la condition de vie des soldats, favoriser une lecture anthropologique de la guerre et ne peut que s’enrichir d’études à caractère prosopographique sur les officiers en particulier, sans oublier que bien avant que ce type de recherches ne soient à la mode, Georges Six s’y était attelé. La question des pertes de guerre doit également être approfondie, à partir d’études de cas précis comme celles proposées par Bernard et Danielle Quintin. Mais elle doit aussi s’inscrire dans le cadre de nouvelles recherches sur la démographie de l’Europe à l’époque napoléonienne. Sagnac enfin s’interrogeait en 1938 sur les conséquences à moyen terme des conquêtes napoléoniennes sur l’Europe, interrogation toujours d’actualité comme le montre l’intérêt des bicentenaires des diverses occupations françaises, que ce soit en Italie, en Allemagne, en Espagne ou dans les Provinces illyriennes. Le colloque qu’organiseront en octobre 2011 les universités de Bruxelles et de Lille III et auquel l’Institut Napoléon est associé, sera également consacré à cette question.

Certes soixante-treize ans après son lancement, la Revue de l’Institut Napoléon doit prendre en compte les nouvelles interrogations nourries par les débats historiographiques contemporains, mais sans oublier que l’histoire napoléonienne est une histoire riche qui ne saurait omettre les recherches menées par les historiens plus anciens dont beaucoup ont du reste publié dans la RIN les premiers résultats de leurs recherches. Les tables de la Revue parues en 1997, comme le complément proposé dans ce numéro, en attestent. Ce bilan de près de trois quarts de siècle de production sur l’Empire est donc une invitation à poursuivre et à enrichir, notamment sur le plan international, les travaux sur l’époque napoléonienne et sa mémoire.

Jacques-Olivier Boudon

Président de l’Institut Napoléon

 

Résumés

Les Transferts culturels forcés. L’opinion publique allemande et les conquêtes artistiques françaises. 1794-1815

par Bénédicte Savoy

A partir de 1794, l’Allemagne a été un terrain privilégié de saisies d’œuvres d’art, phénomène qui s’amplifie sous l’Empire, sous l’entremise notamment de Vivant Denon. L’opinion allemande s’émeut peu au début de ces saisies, la presse n’en parle pas alors qu’elle critique les réquisitions faites en Italie. L’attention portée par les artistes allemands aux spoliations en Italie renvoie à une identité plus italienne que germanique ; beaucoup de ces artistes vivent ou ont vécu en Italie. Mais avec le début du Consulat, la paix retrouvée en Europe favorise les voyages vers la France qui apparaît alors comme un lieu de conservation des trésors de la culture européenne. En 1807, les visiteurs allemands peuvent aussi admirer au Musée Napoléon les oeuvres d’art  prises après la campagne de 1806 et redécouvrir un patrimoine qu’ils méconnaissaient, notamment les tableaux de la Renaissance. Ceux-ci seront du reste revendiqués avec force en 1815 comme symboles de l’identité allemande. La grande exposition organisée à Berlin en 1815 des œuvres d’art reconquises affirme ce nouveau regard sur l’art allemand.

Un témoin du 18 Brumaire et des premières années du Consulat : le député Riffard Saint-Martin

par Jacques-Olivier Boudon

Le Journal tenu par Riffard Saint-Martin, député à la Constituante, à la Convention, aux Cinq-Cents et enfin au Corps législatif offre un témoignage de premier plan sur le coup d’état de Brumaire et les premières mesures prises par Bonaparte. Attaché à la République et à la liberté, très hostile aux jacobins comme aux royalistes, Riffard Saint-Martin approuve le principe d’un renforcement du régime, mais pas la méthode employée le 19 brumaire. Absent le soir de Saint-Cloud, il n’en est pas moins replacé dans le Corps législatif où très vite il prend ses distances avec le régime et appartient au petit noyau d’opposants que Bonaparte élimine de l’assemblée lors de l’épuration de 1802. Il s’est opposé au titre 1er du Code civil comme au Concordat, exprimant le point de vue des modérés hostiles à l’évolution autoritaire du régime. Pour autant, il n’entre pas dans une opposition systématique, se retire de la vie politique nationale, en se repliant en Ardèche dont il est un des grands notables et cesse de tenir son journal. Il réintègre finalement le Corps législatif en 1809.

Abstracts

Forced cultural transfers.  The german public opinion and the french artistic appropriations. 1794-1815

by Bénédicte Savoy

Starting in 1794, the seizure of works of arts was specially large in Germany. A phenomenon even increased during the Empire due, among others, to the influence of Vivant Denon. At the beginning, German opinion seemed little concerned by this plundering. The press didn’t even mentioned it while criticizing the same actions in Italy. The concerns of German artists about the situation in Italy look like personal feelings towards a country where many of them lived or had lived in. But, during the Consulate, the return to peace in Europe favoured the travels to France which appeared then as a safe conservatory for the treasures of european culture. In 1807, German visitors to the Musée Napoléon could admire works of art taken after the 1806 campaign and rediscover a patrimony they little knew, notably the Renaissance paintings. These works were strongly claimed in 1815 as symbols of German identity. In 1815, the great exhibition gathering in Berlin the works repatriated in the country shows this new focus on German art.

A whitness of the 18 Brumaire and the first years of the Consulate : the deputy Riffard Saint-Martin

by Jacques-Olivier Boudon

The diary of Riffard Saint-Martin, member of the Constituante, of the Convention, of the Cinq-Cents council and of the Corps législatif  brings a first hand testimony on the Brumaire coup and on Bonaparte’s first decisions. Riffard Saint-Martin was attached to the Republic and to liberty while very hostile to the Jacobins or the Royalists. So he approved the principle of a strenghtening of the regime but not how it was conducted on the 19 Brumaire. Missing during the evening at Saint-Cloud, he was nevertheless included in the Corps législatif where, quickly he kept his distance with the regime and belonged to the little group of opponents which was cleared from the assembly by Bonaparte during the 1802 purge. He opposed the Title one of the Code civil as well as the Concordat, expressing the point of view of the moderates who were hostile to the arbitrary evolution of the regime. Yet, he did not entered into a systematic opposition then retired from the political scene in the Ardèche region where he was a proeminent personality without stopping writing his diary. Finally, he returned to the Corps législatif in 1809.