Revue de l’Institut Napoléon
Numéro 199 (2009-2)
Editorial
Dans le très beau livre qu’elle a consacré à l’Arc de Triomphe – ouvrage couronné du Grand Prix de la Fondation Napoléon en 2009- Isabelle Rouge-Ducos montre avec pertinence comment l’Arc, érigé à l’initiative de Napoléon puis achevé sous la Monarchie de Juillet, est devenu au fil des ans un monument national, c’est-à-dire un lieu où se rassemble la nation aux moments importants de son histoire. Les lendemains de la Grande Guerre l’ont illustré avec force et les célébrations du 11 novembre 1920 en offrent un bel exemple. Ce jour-là, la République décide de commémorer le cinquantenaire de sa fondation, choisissant le jour de l’armistice de 1918 plutôt que le 4 septembre, manière de rappeler que si la République a été fondée sur les décombres du Second Empire, elle s’est vraiment enracinée en France à travers la victoire contre l’Allemagne. En ce 11 novembre 1920, la cérémonie à l’Arc de Triomphe prend une tournure particulière puisque est déposée sous l’Arc la dépouille du soldat inconnu qui parachève en quelque sorte le monument, reliant la Grande Guerre aux guerres de l’époque de la Révolution et de l’Empire, dans une même défense du droit.
Six mois plus tard, l’Arc était également au centre des célébrations organisées par la même République pour célébrer, cette fois-ci, le centenaire de la mort de Napoléon. Le régime républicain, renforcé par la Grande Guerre, n’avait pas peur alors de commémorer l’un des grands hommes de la nation. A l’Arc, le 6 mai, en présence du président de la République, le ministre de la guerre Louis Barthou prononce un discours vibrant dans lequel il fait l’éloge du général en chef qui a terrassé les Prussiens à Iéna. Les manifestations avaient commencé la veille par une messe à Notre-Dame, célébrée par le cardinal archevêque de Paris, le cardinal Dubois, en présence de représentants de l’Etat. Il paraît loin alors le temps où l’Eglise et la République s’opposaient. Il est vrai que la République vient de renouer des relations avec le Vatican. Au même moment Paris et Rome se mettent d’accord sur un texte qui doit permettre de redonner à l’Etat français un droit de regard sur les nominations épiscopales. Après l’Eglise, c’est la science qui a rendu hommage à Napoléon, dans l’après-midi du 5 mai, à la Sorbonne où, devant un parterre de professeurs et d’académiciens réunis dans le grand amphithéâtre, Robert Lacour-Gayet, auteur pour l’occasion du Vie de Napoléon, dresse le bilan de son oeuvre civile . Le lendemain enfin, après le passage par l’Arc de Triomphe, c’est tout naturellement aux Invalides, devant le tombeau de l’empereur que devaient se clore ces manifestations. Une nouvelle fois, les représentants de l’Etat, de l’armée et de l’Eglise -le cardinal Dubois est également présent- se réunissaient ensemble pour célébrer Napoléon, symbole d’unité nationale, en écoutant le maréchal Foch faire l’éloge du grand homme. Certes, on trouve aux deux extrémités de l’échiquier politique des voix discordantes, dans les rangs tout jeune Parti communiste comme à l’Action française -renvoyons sur ce point aux belles pages que consacre Natalie Petiteau à ce centenaire dans son Napoléon de la mythologie à l’histoire). Mais même le philosophe Alain, philosophe quasi officiel du Parti radical, n’échappe pas à l’emprise de Napoléon dont il mesure la complexité, le décrivant, comme un homme seul, avant de conclure le propos qu’il lui consacre, le 8 mai, sous le titre « L’Homme Nu », par ces mots qui évoquent la cérémonie à Notre-Dame le 5 : « Tous ces costumes donc, à l’enterrement de l’Homme Nu, firent un beau spectacle. Il ne manquait que Talleyrand pour dire la messe« .
Jacques-Olivier Boudon
Président de l’Institut Napoléon
Résumés
La mise a mise au pas d’une Assemblée : l’épuration du Corps législatif en l’an X
par Fabien Menant
Le Corps législatif du Consulat et de l’Empire ne fut pas toujours le Corps des muets souvent décrié, une assemblée sans intérêt, qui se contentait de voter les lois sans les discuter, sans jamais s’opposer à la politique du Gouvernement. L’an X est, à bien des égards, un moment fort pour la vie du Corps législatif, avec une montée nette de l’opposition d’une partie des députés face à la politique de Bonaparte, mais surtout avec le renouvellement du premier cinquième du Corps. En effet, la série d’échecs que le Gouvernement a connus a mené Bonaparte à réagir : ce renouvellement fut ainsi l’occasion de mener à bien l’élimination des législateurs opposants, une mesure réclamée par une partie de l’opinion publique dès le début du Consulat. Bonaparte était décidé à se débarrasser des « vingt et soixante mauvais membres des autorités constituées« . Avec le scrutin secret et l’absence de débat, seule l’épuration de l’an X permet de définir les contours de cette opposition. Après cela, l’Empire fera tomber le Corps législatif dans une torpeur plus grande encore. Il faudra attendre la fin 1813 pour voir de nouveau des législateurs s’opposer au gouvernement et surtout avril 1814, avec l’adhésion à la déchéance de l’empereur, pour pouvoir mieux cerner un corpus d’opposants identifiés.
Essling, première défaite de Napoléon ?
par Gilles Boué
L’année du bicentenaire de la campagne d’Autriche de 1809 a été marquée par la l’absence de toute célébration officielle. Un colloque international s’est tenu à Vienne en juin, et ses actes, non publiés pour l’instant, feront le point sur cette campagne qui vit la première remise en cause de la supériorité des armées commandées directement par l’empereur à la bataille d’Essling. Ce combat des 21 et 22 mai 1809, peut être analysé comme la première défaite de Napoléon. Les objectifs stratégiques de l’empereur, qui souhaitait défaire la principale armée autrichienne, ne sont pas atteints. L’objectif opérationnel de Napoléon, qui était de traverser le Danube, est obtenu mais c’est bien l’armée impériale qui se retrouve après un grave échec tactique, isolée sur l’île de Lobau. Mais l’archiduc Charles, ne saura pas utiliser sa victoire pour éliminer son adversaire. La bataille d’Essling, victoire pour les Français, est connue sous le nom de victoire d’Aspern par les Autrichiens.
Les voies de communication des Provinces Illyriennes ou les stratégies d’intégrations d’un espace excentré et stratégique
par Aurélie Fertil
Délaissés et relégués au rang de contrées de seconde zone par leurs anciens administrateurs, les territoires de ce qui allaient devenir les Provinces illyriennes le 14 octobre 1809, se présentèrent aux yeux des Français comme des espaces où tout était à faire. L’esprit de modernisation, et le dynamisme des Français donnèrent un nouveau souffle à l’Illyrie et marquèrent profondément le pays. Le développement et l’amélioration des voies de communication font partie de ces grands chantiers qui marquèrent durablement le paysage illyrien. Les mers fermées et aux mains des Anglais, les Français se concentrèrent sur les réseaux intérieurs et tout particulièrement routiers. Construire, entretenir, rénover, réparer, telles furent les tâches auxquelles les Français et la population locale s’attachèrent.
Napoléon et le renseignement
par Gérald Arboit
Le renseignement ne mène pas nécessairement à la victoire, seule la force compte. Napoléon avait une vision assez réduite de ce que pouvait être le renseignement, tout au plus fait de suppositions les plus raisonnables. Elles reposaient cependant sur une appréhension globale, tant politique qu’économique et culturelle, du combat, sur une intelligence de la guerre qui confinait à ce que l’on devait appeler plus tard le renseignement stratégique. Napoléon était un adepte de l’approche historique en matière de stratégie, mobilisant les différentes institutions civiles et militaires gouvernementales. Cette organisation était doublée à la guerre par les structures de l’Etat-Major général. Bien souvent, dans la conception napoléonienne du renseignement, le vice ne fut pas dans les hommes, mais dans les choses : mauvaises analyses, incrédulité face aux informations ne correspondant pas aux vues de l’empereur, limites techniques et conditions normales de ces activités en territoire ennemi.